Déboires d’Outre-Tombe

La Comtesse sortit à cinq heures...  

Les derniers  visiteurs étaient partis et le château de Combourg retrouvait son calme. Sonia se rappela qu’il ne restait que quelques jours pour finaliser le fameux prix dont elle présidait le jury…

Chateaubriand5 La presse bruissait des réfugiés venus d’Irak, de Syrie et d’ailleurs. Sonia de la Cour du Bain-Forclose n’était pas insensible à la, misère du monde.  Le Figaro et Valeurs Actuelles avaient amplement parlé des Chrétiens d’Orient dont elle convenait qu’ils « n’attaquaient pas les trains armés de Kalachnikov, n’abattaient pas des journalistes réunis au sein de leur rédaction et ne procédaient pas à la décapitation de leur patron ». Elle prit clairement conscience, alors, que lui était revenue à l’esprit,  au mot près, la délibération du conseil municipal d’une obscure commune d’Isère, Charvieu-Chavagneux. Cet aréopage éminemment démocratique avait justifié ainsi sa délibération, à l’unanimité, en date du 8 septembre,  pour signifier au préfet que cette commune n’accueillerait que des réfugiés de religion chrétienne.

Qu’en aurait pensé, songea-t-elle, le divin François-René ? Son inquiétude concernant le choix du fameux prix à venir  ne l’avait pas quittée, une certitude, une idée lumineuse même, lui apparut soudain : Alain Finkielkraut avait été un parfait lauréat l’an passé, attirant une couverture médiatique inespérée  après le gentillet Jean-Marie Rouart, quinzième récipiendaire de ce prix pour un ouvrage assez plan-plan sur Napoléon. La figure de Robert Ménard, le très médiatique Maire de Béziers, lui  apparut alors. Certes  il serait malaisé de faire crédit au fondateur de Reporters sans Frontières d’un style littéraire digne de la grande tradition polémique française de Bossuet à Bernanos. Mais un titre comme La Censure des Bien-pensants produirait son petit effet lorsque, selon la tradition du Prix Combourg, Alain Finkielkraut, un homme si fin et si engagé de tout son être, lui remettrait le dix-septième prix.

« J’y vais peut-être un peu fort », se ravisa la Comtesse. Elle connaissait les afféteries de certains membres éminents de son jury et leurs réticences probables à l’égard d’un renégat, passé si rapidement et sans vergogne de la défense d’une liberté éminente à la connivence avec un parti politique au passé trop sulfureux. Elle se faisait fort de faire partager son choix en quelques minutes lors du déjeuner décisif qui aurait lieu dans quelques jours. L’Abbé Audrey, ancien vicaire épiscopal, ancien archiprêtre de la Cathédrale de Saint-Malo, cependant, exprimerait peut-être quelques réticences. Les propos, outrageusement extravagants, du Pape François, c’est vrai, n’arrangent pas nos affaires, pensa-t-elle en son for intérieur.

Elle se reprit toutefois en songeant qu’une forte figure devait s’imposer. Autour d’elle convergeraient les médias, les oppositions, voire les polémiques. Peut-être même des manifestations troubleraient-elles favorablement la torpeur du bourg à l’ombre du château. Combourg et le circuit de la Bretagne Romantique connaîtraient peut-être rapidement une affluence touristique qui lui faisait défaut malgré tous leurs  atouts. Autant d’entrées payantes bienvenues pour entretenir l’illustre mais coûteuse demeure, avisa-t-elle. Elle chassa bien vite ces pensées triviales. La phrase de Flaubert, écrite en 1847 lors de la visite qu’il y fit avec son ami Maxime du Camp, lui revint : « J’ai pensé à cet homme qui a commencé là et qui a rempli un demi-siècle du tapage de sa douleur ». Certes un précédent lauréat correspondait à ce portrait programmatique pour ce fichu prix, Papy grognon, alias Régis Debray en 2003 pour Dieu, un itinéraire, savoureuse confession pour un ancien guérilléro compagnon du Che. Ce choix avait, en outre, présenté l’avantage de réduire à néant les critiques qui assuraient que ce prix était réservé à un club de patentés du Figaro et de la vieille Droite dans la lignée de Jean Raspail (Prix Combourg pour l’ensemble de son œuvre, en 2008). En 2011, le choix s’était même porté sur l’incontournable Christophe Barbier pour Les Derniers Jours de François Mitterrand. Ce mixte auteur-sujet  lui semblait particulièrement équilibré, à l’image de la France éternelle, cet idéal de mesure vanté par  un autre lauréat –et académicien  illustre, Marc Fumaroli, Prix 2004. Celui-là même qui, lors du débat sur la féminisation des termes de métiers, s’était écrié avec une subtile ironie, à propos du féminin de recteur : « Et pourquoi pas recteuse, et pourquoi pas rectale ? » On était vraiment entre gens raffinés et de haute culture. Mais il lui fallait un nom pour ce prochain jury…

Soudain, Sonia le vit, elle le tenait, son homme. Une seule femme, certes, figurait au palmarès, et les féministes de service ne manqueraient pas de lui rappeler, mais c’était un homme, un vrai, un couillu, pour tout dire, celui-là. Elle s’étonna elle-même de cet attrait soudain pour une virilité enfin affirmée en ce nouveau siècle de mauviettes, Zemmour, bien sûr. « Un demi-siècle de tapage de sa douleur », quel tapage, quelle douleur ! Une vraie douleur d’homme, et quel courage : en octobre 2013, n’avait-il pas fait partie des 19 signataires de « Touche pas à ma pute ! » En juillet 2014, avec la même audace, Zemmour déclarait que l'équipe allemande de football, à cause de ses joueurs issus de l'immigration, serait battue par le Brésil : « l’Allemagne, elle gagnait que quand il n’y avait que des dolichocéphales blonds ». Quelle érudition pensa Sonia, le regard embué à cette évocation, oubliant que le soir-même, l'Allemagne infligeait la plus humiliante défaite de l'histoire de la sélection brésilienne en s'imposant 7-1 avant de devenir championne du monde 4 jours plus tard. Mais broutille que tout cela.

Elle n’avait pas oublié les formidables saillies d’Éric dans les émissions de Ruquier, sa façon subtile de rappeler combien il convenait de relativiser le rôle de Pétain dans la disparition des Juifs de France, et, enfin, l’ovation des parlementaires de l’UMP en mars 2011 à la Convention nationale des Réformateurs Libéraux… Et puis, ces superbes déclarations de 2014, une prose quasi poétique dont le souffle et l’élégant balancement emportaient l’adhésion spontanée de tout bon français : « Notre territoire, privé de la protection de ses anciennes frontières, renoue dans les villes, mais aussi dans les campagnes, avec les grandes razzias, les pillages d'autrefois, les Normands, les Huns, les Arabes. Les grandes invasions d'après la chute de Rome sont désormais remplacées par des bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d'Africains, qui dévalisent, violentent ou dépouillent ».

Bref, l’évidence du choix s’imposait. D’instinct, elle savait que les sans-grades du Jury  ne feraient pas obstacle à sa détermination. La plupart n’ont même pas de fiche biographique sur Wikipédia, se rappela-t-elle. Son époux (également membre du Jury) et elle-même sauraient faire partager cette dilection. Ils approuveraient l’heureuse coïncidence entre l’heureux élu et l’esprit même qui présidait à ce choix : « Récompenser chaque année un écrivain dont le style honore la mémoire et l’œuvre de Chateaubriand ». L’homme avait du style dans l’écriture, bien sûr, mais aussi, comme François-René, dans la vie elle-même. Éric Zemmour, pensa-t-elle, toute énamourée, quel panache ! Elle se hasarda même à une audace : Oui, ce prix avait de la gueule

Octobre 2015, Octobre Rouge

Elle se trouva fort chagrinée quelques mois plus tard quand elle apprit que des mauvais esprits trouvaient à redire. Une bande de manants du plus bas état et animés d’intentions aussi viles que leur pedigree se préparaient à rejouer les jacqueries d’autrefois… Le Département, partenaire de longue date et généreux donateur de ce prix, s’émut, s’agaça même, par la bouche de son Président tout surpris de voir le logo départemental figurer sur les invitations sans consultation préalable. Dans sa candeur, Sonia déclara aux journalistes venus l’interroger : « Je ne vois aucun mal à cela », ajoutant même : « C’est un peu sectaire ». On admirera dans ce « un peu » l’élégance et la délicatesse si caractéristiques de cette femme de bon ton et de bonne compagnie.  C’est vrai, quoi, osa-t-elle, « Chateaubriand n’était-il pas journaliste et polémiste en son temps ? », heureux rappel à l’égard de plumitifs ignares et injustement inquisiteurs.  Et Sonia de conclure dans un langage sibyllin et subtil, où chaque mot pèse,  mais dont aucun ne verra en filigrane l’image désormais iconique d’un enfant- pantin échoué sur une plage : « La France qui a été en pointe dans le monde durant des années est aujourd’hui noyée dans la mondialisation. C’est ce que décrit Zemmour. C’est sa liberté d’expression »...

Chateaubriand4

Et la nôtre, chère Sonia...

N.B : Toutes les citations attribuées à des personnages publics sont authentiques. Le Malotru tient ses sources à votre disposition.

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