La controverse de la 5 G : comprendre, réfléchir, décider ensemble

Avril 2020 par Gaultier Roussilhe (enseignant en école de design, d'ingénieurs et en sciences politiques sur la matérialité du numérique et ses impacts environnementaux)

"J'écris sur la pratique de design, le numérique, les politiques de transition, l'histoire des techniques et je soumets une à deux fois par an, des articles de recherche. Depuis 2 ans je m'intéresse au concept d'Anthropocène, aux politiques de transition sociale et écologique et à l'impact du numérique sur les écosystèmes."

Une certaine couverture médiatique a présenté les bénéfices et les futurs usages de la 5G. Cependant presque rien n’a été dit sur l’incertitude économique, sur l’empreinte écologique et énergétique totale, sur l’assaut foncier de l’espace public, sur les tensions scientifiques concernant les risques sanitaires, sur la pertinence des usages ou sur les risques géopolitiques. Cette analyse globale doit nous rappeler que la capacité d’innovation, chère aux acteurs étatiques, économiques et industriels, ne consiste pas uniquement à additionner toujours plus de systèmes technologiques.

L’innovation consiste aussi à savoir quand il ne faut pas suivre le mouvement général, quand il faut décrire ce dont nous avons besoin et ce que nous souhaitons dans les contraintes matérielles d’un monde de plus en plus fragilisé par les activités humaines.

Nous pouvons maintenant nous demander collectivement si nous souhaitons déployer le réseau 5G et la longue traîne de technologies associées (smart city, voitures autonomes).

Souhaitons-nous plutôt orienter notre effort collectif vers l’entretien et la soutenabilité des systèmes existants ? Ce pari semblerait moins risqué et bien plus pertinent au vu des immenses efforts de transition sociale, énergétique, écologique, économique à opérer rapidement. L’enjeu du siècle se situe bien là et non pas dans la massification des voitures autonomes, de l’internet des objets et de la smart city. Ces derniers sont des enjeux ponctuels et à court terme qui n’appartiennent qu’à quelques acteurs industriels et financiers. Ils ne constituent en rien un projet de société équitable, au mieux ils maintiennent le rapport de pouvoir qui met les communautés humaines au service du projet économique de ces acteurs.

Du point de vue économique le déploiement de la 5G constitue un cas d’école de verrouillage économique où on vend l’infrastructure sur la promesse d’une hausse du trafic mobile et d’une rentabilité future. Les opérateurs seront alors forcés de faire advenir ce trafic en favorisant des services consommateur de données afin d’être rentable. Or, comme le prouve le cas sud-coréen, l’évolution du trafic est lié dynamiquement au type de forfait (limité/illimité) et à la capacité de l’infrastructure. La hausse du trafic n’est pas une prédiction ni une fatalité, c’est une hypothèse que les opérateurs peuvent choisir de matérialiser ou non.

Du point de vue énergétique, des données cruciales n’ont jamais été produites, empêchant de chiffrer l’impact écologique et énergétique total de l’infrastructure. Nous savons que la 5G entraînera la fabrication de milliards de nouveaux smartphones et d’objets connectés et de dizaine de millions d’antennes et équipements réseau. L’énergie et les ressources nécessaires à cette fabrication n’ont jamais été intégrées dans les mesures d’impacts mais tout porte à dire que cela n’est pas soutenable au vu des transitions à opérer et des stocks de ressources disponibles. La recherche de l’efficacité énergétique des équipements n’est qu’une diversion par rapport à la question concrète de la fabrication des équipements, d’autant plus que ces équipements vont être multipliés du fait de la densification du réseau et que ceux-ci consommeront malgré tout plus d’électricité en valeur absolue.

Les enjeux fonciers et la négociation avec les municipalités sont des inconnues qui rendent incertains le déploiement et la rentabilité du réseau. La nature du réseau 5G enfermera probablement les opérateurs dans un déploiement intensif dans les zones urbaines au détriment des zones rurales. Une guerre de l’espace urbain se jouera entre municipalités, opérateurs, acteurs privés pour déployer le réseau sans le consentement des citoyens. Le cas américain nous montre comment l’autoritarisme de l’État sert à imposer l’infrastructure, au détriment des citoyens et des élus concernés.

La controverse autour des effets sanitaires, à défaut de pouvoir clairement statuer dessus, nous montre des relations de pouvoir opaques entre les acteurs privés (ICNIRP) et transnationaux (OMS, Projet CEM, SCENIHR). Ces relations influencent de fait la recherche et doit nous amener à la prudence vis-à-vis des résultats défendus par ces entités. De plus, les acteurs en position de pouvoir bloquent l’émergence de résultats différents ou contradictoires. Il n’est donc pas possible de savoir quels sont les effets sanitaires réels. En outre, il n’existe aucune étude sanitaire sur les effets de l’exposition aux fréquences 5G en conditions réelles. Face à ces incertitudes, nous devrions nous référer au principe de précaution.

Les usages promis par la 5G seront plus faciles à refuser maintenant qu’une fois déployés car ils peuvent créer une habitude, voire une accoutumance. Dans les conditions actuelles (réchauffement climatique, crise sanitaire, etc), avons-nous besoin de regarder une vidéo en streaming en 4K sur un téléphone ? Souhaitons-nous faire advenir les voitures autonomes et transformer les hôpitaux en centres de données, comme le propose Ericsson ? De plus, les possibles bénéfices de la 5G dans l’industrie et la logistique peuvent être atteints avec le réseau existant. Devant la fragilité de notre monde, quels usages nous semblent les plus souhaitables et prioritaires?

Le discours de la peur (de l'espionnage) autour de l’infrastructure 5G de Huawei ne doit pas nous faire oublier qu’elle servira à faire transiter des services étatsuniens (Netflix, Youtube, etc). Ce sont ces services qui influent sur la charge des réseaux et poussent les opérateurs dans l’escalade du trafic en Europe, en même temps qu’ils profitent d’une fiscalité avantageuse (impôt sur les sociétés des GAFAM : 0,3%) comparée aux opérateurs français (impôt sur les sociétés : 7,6%). Les États-Unis tentent d’embarquer ses partenaires dans leur guerre commerciale alors que les états européens devraient plutôt être prudents à l’ouest comme à l’est. Les États-Unis n’ont pas attendu la 5G pour espionner leurs alliés et leurs ennemis, de même pour l’État chinois, par contre les services étatsuniens ont déjà la mainmise sur la plupart de nos contenus numériques.

Imaginons un instant que nous refusions de vivre dans un monde fou dicté par les intérêts financiers de quelques uns.

  • Premièrement nous nous dirions que les usages concrets de la 5G, comme le visionnage de vidéo en 4K ou en réalité virtuelle, ne nous intéressent pas et que nous sommes déjà satisfaits avec ce que nous avons à disposition.
  • Dans un second temps, nous déciderions d’annuler la vente des fréquences, voire de l’interdire, pour concentrer plutôt notre effort sur la maintenance et le renforcement des réseaux existants, qui ont fait leur preuve. 
  • Dans un même mouvement, nous favoriserions les forfaits limités afin de lisser le trafic en laissant le choix aux usagers sur la façon dont ils veulent utiliser leurs données.
  • Finalement, en nous basant sur les réseaux 3G/4G nous créerions de nombreux services efficaces et à faible impact pour notre industrie et nos acteurs publics, produisant les mêmes effets que la 5G. Là se situerait notre vraie capacité d’innovation.

Ce projet de société est tout aussi réalisable.

Alors à la croisée des mondes, lequel choisirez-vous ?

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