Petits calibres et grosses gachettes : Chasse au Dahu à Saint-Malo

À propos d'une initiative sécuritaire en Pays malouin : « Citoyens-référents » et… armement létal de la police municipale

« Je n’ai rien à dire. Seulement à montrer » (Walter Benjamin)

À partir de faits précis, de propos publics, de témoignages offerts par la presse locale, etc., Le Malotru tente de braquer le projecteur là où se jouent des enjeux de pouvoir et l'avenir de nos démocraties. La crise sanitaire a récemment justifié opportunément des mesures d' « urgence sécuritaire » parfois inquiétantes, prises sans vraie délibération démocratique. Faire entendre la voix des associations devient alors un devoir impérieux en cette période où les espaces d'expression se sont réduits comme peau de chagrin.

On aimerait s'assurer que l'initiative citoyens référents ne sert pas de leurre pour faire passer ultérieurement l'autre point annoncé en même temps, mis sous le boisseau actuellement : L'armement létal de la police municipale. Nous nous en tiendrons ici à cette seule initiative des « citoyens-référents ». Nous garderons toutefois en mémoire des déclarations fortes sur ce projet municipal qui peut resurgir à tout moment, notamment celle-ci : « La question de l’armement létal de la police municipale n’est pas taboue et ne l’a jamais été au sein de notre équipe » (1)

Un vieil indien explique à son petit fils que chacun de nous a en lui deux loups qui se livrent bataille. Le premier loup représente la sérénité, l’amour et la gentillesse. Le second loup représente la peur, l’avidité et la haine.
“Lequel des deux loups gagne ?” demande l’enfant.
“Celui que l’on nourrit”, répond le grand-père.

Un arrière-plan politiquement marqué

Une initiative qui a tout le parfum du « bon sens » mais qui ne naît pas par hasard.

Le scénario est déjà écrit ou presque. Il ressemble fort à une version bis de Duel à OK Corral : Le Pen versus X, deuxième round, ou deuxième tour, l'affaire semble bien engagée, la Présidentielle 2022 se jouera sur sécurité, identité, et peut-être même, en option, « islamo-gauchisme »… Avec un Président-candidat qui ne cesse de chasser sur les terres de la Droite, voire la Droite-Extrême…

Par un cercle vicieux bien connu des sociologues, cultiver la peur engendre la peur et la demande d'autorité. Cette « prophétie auto-réalisatrice » se diffuse actuellement à tous les étages de la Maison France. Des sondages réguliers en attestent. On retiendra celui d'Ipsos Steria de septembre 2020 indiquant que 82% des Français estiment qu' « on a besoin d'un vrai chef en France pour remettre de l'ordre »… Un sondage Ifop commandé par Ouest-France en octobre 2018 (2) signalait déjà que 41% des personnes interrogées se disaient prêtes à « alléger les mécanismes de contrôle démocratique ». On note que les scores les plus importants en faveur de cette proposition venaient des sympathisants de LR (55%, précédant même les sympathisants de Marine Le Pen, 54%).

Localement, avec un « nouveau » Maire – au déjà long passé de conseiller parlementaire et de député LR – on peut penser que le film va toutefois se dérouler en version plus soft, en dosant savamment politique sociale, verdissement de la ville (pas en termes d''âge…) et densification urbaine moins ostensiblement confiée aux prédateurs de l'immobilier. Ces derniers ont su profiter à plein de la « fenêtre Renoult » jusqu'à la défaîte juridique en rase campagne, si on ose dire, du côté des zones humides de la Frange Sud de Rothéneuf. Mais on doit reconnaître à l'homme qui dirige désormais la ville qu'il n'a jamais caché vraiment ses choix sociétaux et, derrière la rigueur morale, la rigueur tout court de ses choix sociétaux (3).

Après l' « agri-bashing » (il avait voté en faveur du maintien du glyphosate), avant de devenir maire, le député avait déjà dans son viseur, le « policier-bashing » (sic, voir encadré)… Tant pis, incidemment, si le « globish » parasite la langue de la République, nos législateurs signataires ne s'en soucient guère !

Gilles Lurton, maire de Saint-Malo, signataire de la proposition de Loi de Sécurité globale en mai 2020 (4)

N° 2992
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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 mai 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre non identifiables les forces de l’ordre
lors de la diffusion dimages dans l’espace médiatique,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Éric CIOTTI, Gérard CHERPION, Geneviève LEVY, Valérie BAZIN‑MALGRAS, Bernard REYNÈS, Bérengère POLETTI, Jean‑Louis MASSON, Josiane CORNELOUP, Marc LE FUR, Ian BOUCARD, Annie GENEVARD, Jean‑Claude BOUCHET, Valérie BOYER, Emmanuelle ANTHOINE, Gérard MENUEL, Raphaël SCHELLENBERGER, Olivier DASSAULT, Olivier MARLEIX, Bernard PERRUT, Michèle TABAROT, Pierre‑Henri DUMONT, Michel VIALAY, Thibault BAZIN, Patrick HETZEL, Jean‑Marie SERMIER, Gilles LURTON, Didier QUENTIN, Jean‑Pierre DOOR, Julien AUBERT,

députés.

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

(…) La pratique du « policier bashing » se développe dangereusement. (…) La présente proposition de loi vise par conséquent à rendre systématiquement non identifiables les forces de l’ordre dans l’ensemble de l’espace médiatique, y compris sur les réseaux sociaux. Cela est indispensable pour assurer leur sécurité.

(…) Afin de s’assurer que les auteurs de ces faits soient systématiquement sanctionnés, il est prévu la mise en place d’un dispositif de peines minimales dites « peines‑planchers ».

PROPOSITION DE LOI
Article unique

Le paragraphe 3 du chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par un article 35 quinquies ainsi rédigé :
« Art. 35 quinquies. – La diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de policiers municipaux ou d’agents des douanes est punie de 15 000 € d’amende et un an d’emprisonnement.
(…)

 

Police floutée, justice aveugle : Bref, vrai bâillon pour la liberté d'informer, on a là, la version « dure » du fameux « article 24 » du projet de loi de Sécurité globale, rien de moins...

Or on sait que sans certaines images de ce type, des dizaines d'affaires graves n'auraient jamais vu le jour, dont certaines restent dans nos mémoires : La sinistre « affaire » Benala, l'incroyable « interpellation » de Michel Zeclerc, dont les images furent heureusement diffusées par le site Loopsider, les violences dont notre amie d'Attac Geneviève Legay fut victime à Nice en mars 2019, sans parler des nombreuses « bavures » dont furent victimes quantité de « Gilets Jaunes » passées aux oubliettes de l'histoire faute de traces photo ou vidéo…

Déjà, sur le « Projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » (première lecture), G. Lurton a voté contre, suivant en cela d'autres députés LR, au motif que les mesures liberticides de ce Projet ne sont pas assez sévères ! On admettra sans peine qu'il est difficile, dans ce contexte, de ne pas penser que ce projet de « citoyens-référents », choisis arbitrairement, appartient bien à un répertoire d'instruments d'une approche sécuritaire et d'un maillage serré des populations.

Il importe de remettre en mémoire ce terreau local pour tenter de donner sens à une initiative qui a tout le parfum du « bon sens » mais qui ne naît pas par hasard. Surtout quand on sait qu'il ne répond à aucune demande explicite de la population.

Créer l'offre pour susciter la demande est, on le sait, un classique de la manipulation politique, mais aussi de la « communication ». Cette affaire de citoyens-référents, c'est peut-être d'abord cela, de la « Com' » dans la course à l'échalotte sécuritaire qui tient lieu de politique aujourd'hui à tous les étages de notre beau pays. Le message est simple et clair : Rassurez-vous, citoyens, il y a du danger, mais on s'occupe de vous, avec nous vous ne craignez rien…

De la Com' Et une ville bien propre, fissa !

La com' à Saint-Malo, certains connaissent. On a même du lourd en la matière. Et tout en haut du Conseil Municipal, se trouve un lobbyiste de choix. Le Malotru et le comité local Attac ont déjà eu l'occasion d'épingler Jean-Virgile Crance pour sa propension à « gonfler » les chiffres liés au tourisme qui se trouve, par ailleurs « étrangement » coïncider avec ses engagements professionnels, au point que certains malouin(e)s ont suggéré un sérieux risque de conflit d'intérêts (5).

Nous nous contenterons ici, de rappeler que son souci sécuritaire, certain(e)s diraient son obsession, ne sont pas nés le jour où G. Lurton l'a choisi comme Premier Adjoint.
Lors de son discours d'accession à la présidence du Groupement National des Chaînes Hotelières (G.N.C) en 2018, il déclarait : « La sécurité doit faire partie intégrante et doit être prioritaire dans la politique touristique de la France. (…) La création d’une police spécialisée dans ce secteur est une piste que nous voulons voir déployée tout comme le label Sécurisite sur tout le territoire français ».
Bigre, une police dédiée aux hôtels ? Sacré programme pour l'homme qui complète cet engagement sécuritaire professionnel par la forte déclaration déjà évoquée dans le cadre de son engagement politique : « La question de l’armement létal de la police municipale n’est pas taboue. »

Un spectre hante les édiles et l'industrie hôtelière malouine depuis longtemps : Le S.D.F, le zonard, et même parfois les artistes de rue du 14 juillet !

On sait que certains citoyens n'hésitent pas à dénoncer la présence dans leur voisinage de squatters ou de « zonards ». « Les brav’s gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux », comme le chantait l'ami Brassens… Ils font tâche sur la photo, ces parasites ! Nice est devenue « modèle » d'aseptisation sécuritaire pour de nombreux élus, notamment en terme de vidéo-surveillance, subtilement rebaptisée « vidéo-protection ». Sans aller jusqu'à imiter ses excès, on a déjà vu ici des tentatives de « rendre propres » les zones les plus touristiques de notre ville.

Certains se rappelleront ces inflexions significatives lors des mandatures « Couanau » comme la tentative – avortée du fait des critiques – de remplacer les bancs du Sillon par des sièges individualisés sur le modèle RATP pour empêcher les « vagabonds » de s'y allonger. Un arrêté municipal anti-mendicité du 5 août 2003 interdisait de faire la manche dans les rues d'Intra-Muros. Un autre arrêté municipal du 11 août 2003 « interdisait à toute personne de circuler en-dehors des lieux ouverts à la baignade, torse nu, en maillot de bain, et, d'une façon générale, dans toute tenue contraire à la décence »… L'Adjoint à la sécurité de l'époque parlait de « remettre bon ordre ». Michel Gendrot, élu d'opposition, estimait que ces textes « s'en prenaient aux pauvres et non à la pauvreté. En faisant de la pauvreté un délit, on cherche avant tout à cacher les miséreux pour rassurer quelques bonnes gens »…

Jeunes« Jeunes délinquants en flagrant délit » (visages floutés). Arrêté Municipal 2003 (Coll. particulière)

Incidemment, on notera avec intérêt que sur les 840 requêtes déposées devant le Conseil d'État en 2020, huit seulement ont été jugées dans un sens défavorable au gouvernement. Parmi elles se trouve le fait de ne plus verbaliser les SDF pour défaut de confinement, ce qui, dans les faits, permettait de les éloigner et de les rendre « invisibles » dans les zones touristiques ou les dans les quartiers « chics »…

Une initiative dangereuse La spirale du soupçon

« Dangereuses et minables comparaisons » : L'adjointe chargée de la sécurité s'est indignée de certains commentaires faisant référence à « des méthodes qui rappellent des périodes douloureuses de notre histoire». Ces propos n'émanaient pas de gauchistes notoires ni de la Ligue des Droits de l'Homme, mais du groupe Saint-Malo au Cœur des Possibles, dont la tête de liste n'est autre que l'ancienne alliée de G. Lurton dans la première configuration de liste pour les Municipales avant leur rupture spectaculaire…

Sans s'attarder sur les pages sombres de l'occupation et du « Corbeau », film emblématique, réalisé en pleine guerre par H.G Clouzot sur les ravages de la délation, une mise en perspective plus large s'impose.
Le traumatisme collectif lié à cette pratique de la délation dans un contexte, certes bien différent, a créé en France une culture légitime de méfiance vis-à-vis de tout ce qui, de près ou de loin, peut y ressembler. En cela, il n'est pas pertinent de tenter de rassurer nos concitoyens en disant que d'autres pays s'appuient sur des pratiques comparables depuis longtemps.
Il est vrai que la Grande-Bretagne ou les U.S.A offrent des précédents et des « modèles » bien établis de « neighbour-watch » (veille par le voisinage) apparemment séduisants. Historiens et anthropologues expliquent souvent cette situation par l'histoire religieuse de ces pays, par l'absence de la confession dans la « religion réformée », par le concept de « community », par l' « idéal » de transparence entre vie privée et vie publique, etc.
Toutefois cet « idéal » anglo-saxon a pu, lui aussi, faire de sacrés dégâts, non seulement dans la vie politique mais dans la pratique démocratique elle-même. Déjà au XIXème siècle Alexis de Tocqueville, admirateur de la jeune démocratie américaine, n'en signalait pas moins les risques d'une « dictature de la majorité » et d'un « despotisme doux », de citoyens toujours bien inspirés et prompts à dénoncer les « sorcières » dès le XVIIème siécle (Voir Les sorcières de Salem). On sait avec quelle promptitude cette inclination collective fut brutalement réactivée dans sa version à peine laïcisée lors du Mac Carthysme des années 50… Bon nombre des « bavures policières » récentes aux États-Unis provenaient aussi de réponses hâtives et parfois mortelles à des dénonciations intempestives à l'égard de jeunes gens issus des minorités « visibles » dont le seul faciès avait « justifié » un appel à intervention en urgence…

Message malouin Reponse

(Photos : Témoignages première vague pandémie. Saint-Malo, Coll. Particulière)

Il suffit de bien peu pour voir resurgir chez nous également la « bête immonde » et la simple « bêtise ». Le premier confinement a déclenché des vagues d'appel aux services de gendarmerie et de police, y compris dans la région malouine, venant de bons citoyens prompts à dénoncer le hors-département en situation illégale, certains allant même jusqu'à détériorer des véhicules immatriculés « à l'étranger », l'étranger pouvant être un département proche déclaré foyer actif de la pandémie…
Un soignant résumait récemment cette évolution en ces termes : « Il y a quelques mois, à vingt heures, tout le monde allait à sa fenêtre pour applaudir les soignants. Maintenant, on a l’impression qu’à vingt heures, tout le monde y va, mais pour observer ce que leur voisins font, et vérifier s’ils font la bamboche, et le téléphone n'est jamais loin… »

L'enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions

Il faut, en réalité, bien peu de choses pour passer d'une politique de « bonnes intentions » à une politique gravement polluée par l'excès de ces « bonnes intentions ». Parfois la politique d'appel à délation n'est même plus cachée, au contraire, elle est revendiquée.

C'est le cas à Béziers, la « ville des Ménard » (Robert Ménard, Maire; Emmanuelle Ménard, députée de l’Hérault) : Des « citoyens » téléphonent au standard de la mairie pour dénoncer des balayeurs qui ne travaillent pas alors qu’ils sont en pause (20 mn en cas de journée continue), ou pour insulter les agents : « Enfin un maire qui va vous mettre au boulot ».  Et le journal municipal ne se gêne pas pour dénoncer nominativement (photo à l’appui) des militant.es associatifs ou politiques (6).

Mieux, ou pire, ce type d'appel à signalement vient de s'étendre officiellement à l'ensemble de notre pays avec l'initiative récente de notre Ministre de l'Intérieur :

Plateforme commissariat

Depuis le 3 mars 2021, en effet, toute personne repérant un trafic de stupéfiant est invité à le signaler à la police via ce site moncommissariat.fr. À compter de début 2021, la plateforme devrait même fonctionner « 24 heures sur 24 ». On ne sera pas surpris d'apprendre que selon plusieurs médias tels RMC ou La dépêche du midi (7), ce « dispositif de dénonciation populaire » (dixit Ouest-France (8) ) a déjà fait la preuve de son efficacité… Et le même quotidien note incidemment en conclusion de l'article : « Ce chat avait été lancé pour poser des questions à des policiers concernant la crise sanitaire du coronavirus. Mais face au succès de cette messagerie, le nombre de demandes et les possibilités de parler à la police ont été élargis. »

Ou comment passer subrepticement du sanitaire au sécuritaire. À l'échelle du pays. C.Q.F.D.

Une initiative objectivement inutile, elle ne répond à aucune demande

Presse delinquance

(Photo : Quand « Le fait divers fait diversion » P. Bourdieu)

Il n'est pas question ici de faire preuve d'un angélisme naïf face aux réalités des incivilités, des petits trafics, et d'une délinquance qui gâche sérieusement parfois le quotidien des habitants. Mais lors de la campagne des Municipales a t-on entendu monter une demande de « citoyens-référents » ?
Par contre, celles et ceux qui ont suivi les inflexions politiques de ces dernières années n'ont pas manqué de souligner l'affaiblissement organisé, à l'image des politiques sanitaires et hospitalières, des services publics, notamment sociaux, éducateurs de rue, aides aux devoirs, îlotiers, gardiens de la paix, commissariats de quartier, etc. Les « années Sarko » furent également évoquées avec la « culture du chiffre » et la disparition de la police de proximité qui possédait une connaissance fine des quartiers et des habitants.

À Saint-Malo, la très modeste initiative de la brigade-contact au sein de la police municipale (trois policiers sur… 36 présents sur le « terrain ») renoue, certes, avec cette inspiration ; mais compter sur des « citoyens-référents » choisis « en-haut » semble une démarche bien mal avisée pour que les citoyens « reprennent confiance en leur police » selon les termes justifiant l'ensemble de ces démarches.

Certes la presse locale a pu paraître multipler les articles pour déminer la polémique et présenter l'initiative municipale sous un jour largement favorable, mais les malouins de différents quartiers interrogés par nos soins ne voient guère l'intérêt de ces référents quand ils n'y voient pas une intention maligne, celle-là même que dénoncent des associations citoyennes. « On connaît le 17 ou le 112 pour Police et Gendarmerie, le 18 pour les pompiers, le 15 pour le Samu, et les dames du standard de la Mairie font très bien le travail quand on signale un problème de réverbère défectueux ou de trottoir défoncé ». D'autres signalent l'identification insuffisante du conseiller municipal ou de la conseillère municipale de leur quartier qui « devrait être le citoyen-référent, en fait ». Certains insistent sur l'intérêt qu'il y aurait à redonner aux comités de quartier une vraie identité et des moyens d'exister, une minorité « informée » signalant même la possibilité de « gestion participative » avec un budget dédié pour des projets de quartier…

Ce qui est clair, en tout cas, c'est que cette initiative ne correspond a aucune des priorités généralement exprimées. À cet égard, nos politiques seraient bien inspirés de relire, par exemple, le Baromètre Ouest-France paru le 1er janvier 2021 sur les préoccupations des habitants de l'Ouest. La pauvreté et les inégalités sociales viennent en tête et l'insécurité n'y apparaît qu'au septième rang, loin derrière. Pourquoi cet écart spectaculaire, dans l'Ouest, en tout cas, entre les préoccupations sociales des citoyens et l'agenda prioritairement sécuritaire des politiques ? On aimerait entendre la réponse de ces derniers et voir se développer autre chose que des gadgets ou des cautères sur une jambe de bois…

Rien n'est joué…

Pour la juriste Mireille Delmas-Marty, professeure émérite au Collège de France, la généralisation de la surveillance prend toutes sortes de formes, de la plus simple, l'appel à dénoncer, juqu'aux plus sophistiquées comme la reconnaissance faciale chère aux dirigeants chinois actuels. Cette généralisation, dit-elle, « s’est accélérée sous le coup de l’urgence sanitaire, et pourrait mener à une mutation de notre régime politique », rien de moins. Elle ajoute : « Après les discours musclés annonçant l’éradication du terrorisme, voici les discours savants sur le « Zéro Covid ». Et toujours la même obsession sécuritaire, le même rêve d’un monde sans risque, sans crime et sans maladie. On s’en réjouirait si l’on ne savait avec quelle facilité le rêve d’un monde parfait peut tourner au cauchemar des sociétés de la peur (…) Insensiblement, tout cet arsenal transforme nos États de droit en États policiers et nos sociétés ouvertes en sociétés de la peur où la suspicion suspend la fraternité et fait de l’hospitalité un délit pénal. (9)

Sa consoeur, Catherine Thibierge, Professeur de Droit privé et de sciences criminelles, anticipait, à sa manière, en 2018, ce pronostic inquiétant pour l'expérience démocratique si chèrement acquise par les générations qui nous précèdent :
« Par petites touches, avec les « meilleures intentions du monde », parfois, nos pays, nos régions, nos villes voient  le rêve de perfection, l'utopie sécuritaire des bien-pensants du pouvoir s’accompagner d’une inflation de normes à travers un véritable « goutte-à-goutte normatif » (10).

Replacés dans le cadre élargi de ces politiques de quadrillage et de surveillance, on comprend sans peine que ces « citoyens-référents » échappant même à ses promoteurs  peuvent devenir des acteurs au service d'une société du soupçon et de la peur.
Sur ces terrains, la contradiction et le débat sont de toute évidence plus que jamais, nécessaires. Le Malotru invite vivement ses lectrices et ses lecteurs à contribuer à ce débat. Il importe de retrouver confiance, et de faire société plutôt que de faire peur.

Notes

1- Dixit Jean-Virgile Crance, Premier adjoint de la ville de Saint-Malo (Ouest-France 07/01/2021) ► l'article

2- INFO OUEST-FRANCE. 41 % des Français tentés par un pouvoir politique autoritaire. Ouest-France 30/10/2018 ► l'article

3- On se rappellera qu'il avait même créé la stupéfaction chez certains de ses proches lors de son discours du 14 juillet 2020 dans lequel il avait qualifié le 14 Juillet de « jour sombre de notre histoire », y voyant sans doute plus une émeute qu'un acte d'émancipation. Le PS local avait réagi en ces termes : « Sa lecture du temps historique semble frappé d'une paradoxale radicalité que nous ne lui connaissions pas et qui peut inquiéter ». Mais le PS et d'autres qui avaient exprimé leur indignation faisaient aussi l'erreur de se référer au 14 Juillet 1789 et à la Prise de la Bastille ! Rappelons que ce n'est qu'en 1880 que la très jeune République décida de faire du 14 Juillet 1790, Fête de la Fédération et de l'Unité nationale, la Fête Nationale de notre pays, placée donc sous le signe du Rassemblement national, au sens strict du terme.

4- Texte de la proposition de loi nº 2992

5- Du bon usage des statistiques. Le Malotru 23/12/2020 ► l'article (audio)

6- La plateforme en ligne de signalement des points de deal connaît un succès stupéfiant. RMC 17/03/2021 ► l'article
et La plateforme moncommissariat.fr signale les points de deal dans la rue. La Dépêche 16/03/2021 ► l'article

7- Madame Ménard au régime Vichy ! VISA 03/02/2021 ► l'article

8- Drogue. La plateforme Mon commissariat.fr a déjà enregistré plus de 1 000 signalements. Ouest-France 07/01/2021) ► l'article

9- La force normative. Naissance d'un concept. Catherine Thibierge. Eds. LGDJ 2019 ► Présentation éditeur

10- M. Delmas-Marty. Extrait Tribune du Monde 01/03/21 ► l'article

POUR INFORMATION

La coordination  "Le Monde d'Après" a lancé une pétition contre le projet "citoyen référent".

Voici le texte qui annonce cette pétition :

Le projet de la municipalité de Saint-Malo d’instaurer un dispositif « référent-citoyen » – qui découle directement de la circulaire Castaner – traduit la volonté du gouvernement de mettre la population sous surveillance. Ce projet, qui n’a pas été mis en débat au sein de la population et qui n’est fondé sur aucun élément objectif justifiant de l’aggravation de la délinquance ou du sentiment d’insécurité, s’inscrit clairement dans une politique de répression et de dénonciation.

Merci de signer cette pétition en ligne pour dire non à ce système!