Côte d’Emeraude et traités de Libre Echange - Episode 3

Le CIRDI, bras armé des accords de libre échange

 Connaissez-vous le tribunal commercial de Rennes ? Peut-être, si, en tant que patron, vous avez eu un différend commercial avec un de vos pairs, ou qu’on vous a proposé d’y siéger bénévolement. En effet, ce tribunal règle entre « professionnels de la profession » les litiges commerciaux qui peuvent advenir.

L’on y est jugé par trois personnes qui ne sont pas de la magistrature, élus par leurs pairs.

Notez pour la suite que cela concerne des litiges de moins de 10 000 euros. Au dessus, c’est le Tribunal de Grande Instance qui officie, un « vrai » tribunal.

De plus, on reste dans un cadre local, départemental pour être précis. C’est généralement le « tribunal » du lieu du défendeur qui « juge ».

Notez aussi que les condamnés peuvent se pourvoir en appel, ou en cassation, comme dans la « vraie » justice.

Notez ensuite que les frais de justice sont réduits, que les « juges » sont bénévoles, qu’on peut s’y passer d’avocat à grosse rémunération.

Ce système permet de régler des petits litiges courants à moindre coût, sans encombrer les tribunaux.

C’est ce qu’on appelle un « tribunal arbitral ».

 

Mais voudriez-vous que votre Maire ou votre Gouvernement soit traîné par une entreprise canadienne ou américaine devant un tribunal privé à Washington avec l’obligation de faire dépenser par les contribuables (nous !) des fortunes en grands avocats d’affaire internationaux, en plus même d’une éventuelle condamnation qui augmenterait la note ?

JusticeVoici le mécanisme de RDIE, Règlement des Différends Investisseur-Etat, et voici son bras armé, le CIRDI, le Centre International pour le Règlement des Différends Relatifs aux Investissements, né en 1966 (ancienneté qui nous permettra d’évaluer les dégâts qu’il a déjà causé en grand nombre). Il fait partie de la Banque Mondiale, une référence, non ?

 

Dans les Traités de Libre-Echange, il n’est pas prévu de régler les différends entre pairs, entre entreprises concurrentes, mais bien qu’une entreprise puisse contester une loi, un arrêté, une décision… démocratiques pris par les instances élues d’un pays où elle fait des affaires. Plus que cela, cette entreprise pourra demander compensation pour un manque à gagner, à la suite d’un mouvement social (grève) ou d’une catastrophe naturelle !

 

Les différences sont de taille !

 

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un règlement de différends entre gens du même monde.

Un Etat ne peut saisir ce « tribunal arbitral » pour faire condamner une entreprise, il n’y a pas de réciprocité, c’est un droit réservé à « l’investisseur ».

 

Ensuite, le CIRDI est une manne financière pour les grands cabinets d’avocats d’affaire internationaux qui y officient, qui se retrouvent juges dans certaines affaires et avocats dans d’autres, un petit monde grouillant de conflits d’intérêts ! Ces cabinets agissent d’ailleurs auprès des grandes entreprises pour les inciter à monter des dossiers dès qu’un traité de libre-échange est conclu. Miam !

 

Ce qui est essentiel dans cette affaire, c’est que nos chers (très chers !) traités de libre-échange sont truffés de déclarations qui proclament d’une part la protection de l’ « investisseur » contre les lois qui restreignent la « liberté du commerce », et d’autre part la protection des instances démocratiques qui doivent pouvoir légiférer sur la santé, l’éducation, la protection sociale et la protection de la nature. C’est dans cet entre-deux que surgissent les monstres, les cabinets d’avocats d’affaire, qui se font fort de « juger » en faveur du commerce et qui réussissent assez bien dans cet exercice. On tente de rassurer le citoyen en lui montrant les belles déclarations, et, une fois signé l’accord, déferlent les assignations à comparaître et les jugements partiaux, forcément partiaux puisque dans le flou orchestré des textes n’est jugé que l’aspect commercial et non le bien commun, ce qui est toujours le cas dans le cadre de  l’OMC.

 

Il faudra suivre au jour le jour les positions de nos élus et de nos gouvernants qui sont plus que floues et changeantes. La gauche libérale (attention : oxymore !) voudrait un tribunal arbitral rénové, modernisé, en bref ripoliné…mais tout aussi dangereux.

Comme si l’Europe, le Canada, les Etats-Unis, n’avaient pas des systèmes juridiques publics capables de traiter ces affaires avec une certaine indépendance et une possible équité (il faut dire qu’historiquement, ces tribunaux arbitraux internationaux ont été créés parallèlement à des accords avec des pays dont la justice et l’appareil d’Etat n’étaient pas au dessus de tout soupçon de corruption).

 

Notons enfin et en conclusion de cet aperçu qui, je l’espère, vous donnera envie d’en savoir plus, que TINA n’a pas gagné puisque l’association AITEC a rédigé une proposition de mandat commercial alternatif de l’Union Européenne et que certains pays d’Amérique Latine ont créé l’ALBA, Alliance Bolivarienne pour les Amériques, zone d’échange commerciaux alternative et anti-ALENA.

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note : une analyse plus complète du CIRDI  sur https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports-37/articles/le-centre-international-de-reglement-des-differends-sur-linvestissement-cirdi

et un bilan de ses activités sur http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/briefing_paper_french_v5_low.pdf