Quand Trump et Musk font des émules chez nous aussi…

Si, chez la plupart des observateurs français, les annonces choc de Trump, la stratégie de désinformation d’Elon Musk et ses menaces contre les fonctionnaires provoquent l’affolement, une minorité rêve que le même traitement soit appliqué un jour à la France.

Les Influenceurs

Les ingérences spectaculaires des ténors trumpiens dans la politique européenne, comme le soutien apporté par Elon Musk à la candidate extrémiste de l’Afd en Allemagne, ou les propos insultants tenus par le vice-président J.D. Vance à l’encontre de Keir Starmer, Premier Ministre de Grande-Bretagne, sont l’arbre qui cache la forêt. Une autre bataille, de plus grande ampleur en termes financiers, se joue.

Le ministère confié à Elon Musk par Trump, le département de l’efficacité gouvernementale - plus connu sous le nom de DOGE – est décrit par le groupe de pression Americans for Prosperity (AFP) comme « une réelle opportunité de réduire la sur-réglementation et le gaspillage. ». En réalité, c’est essentiellement une opportunité pour réduire drastiquement les dépenses publiques et offrir aux intérêts privés de fructueuses potentialités de profit.

Plusieurs mesures d’exemptions fiscales prises par la première administration Trump avec la loi « Tax Cuts and Jobs Act » ou TCJA de 2017 sont censées prendre fin en décembre 2025. La bataille est donc lancée pour en obtenir la prolongation. En tête des lobbies on trouve Americans for Prosperity, une organisation fondée par les frères Koch, multi-milliardaires libertariens. Trump répond déjà favorablement aux demandes pressantes de ces lobbies en annonçant qu’il va abaisser encore davantage le taux de l’impôt sur les sociétés, de 21 à 15 %. Son élection est donc une première victoire pour les grandes fortunes qui veulent préserver et accroître leurs avantages fiscaux. Pour compenser les pertes fiscales correspondantes, son administration opère déjà des coupes dans le budget fédéral, et dans Medicaid, le programme qui permet de fournir une assurance maladie aux personnes à faibles revenus, gèle les activités d’USAID, l’agence de développement des États-Unis, etc.

Depuis des années, en France, des « think-tanks » et autres « fondations » opèrent, souvent dans l’ombre, pour imposer leur agenda en lien avec leurs équivalents états-uniens qui viennent de porter Trump à la présidence U.S., avec des moyens qui font rêver ces influenceurs hexagonaux…

L’Observatoire des multinationales résume ainsi ces migrations d’idées qui finissent par « percoler » insidieusement dans les médias français :
« Ces débats (états-uniens) font écho aux discussions budgétaires en France, où les cadeaux fiscaux faits aux entreprises et aux plus riches ces dernières années (baisse du taux des impôts sur les sociétés, exonérations de cotisations, flat tax, suppression de l’ISF…) ont également eu un coût pour les finances publiques, que certains voudraient amortir en s’attaquant aux dépenses. Cette approche, privilégiée à droite de l’échiquier politique, est aussi férocement défendue dans les médias et sur les réseaux sociaux par certains des think-tanks et associations françaises liées au réseau Atlas. »

Trop peu connu des milieux militants, ce réseau Atlas, d’inspiration libertarienne et ultra-conservatrice, né dans les années 1980, est constitué d’une nébuleuse de think-tanks à l’échelle mondiale, financé par des fondations américaines comme celles des frères Koch et par des multinationales. Son objectif est de « changer le climat des idées » et de s’attaquer à des causes comme l’action climatique, la promotion des droits des femmes et des minorités, la justice fiscale ou encore les services publics. Le réseau se prévaut aujourd’hui d’avoir contribué au succès du Brexit, au départ forcé de Dilma Rousseff au Brésil ou encore l’élection en Argentine de Javier Milei. Et, bien sûr, à la victoire de Trump II.

Toujours selon l’Observatoire des multinationales, on connaît au moins cinq de ses partenaires dans l’Hexagone - l’Ifrap, Contribuables associés, l’IREF, l’Institut Molinari et l’IFP. « Ils illustrent la diversité des modes d’actions recommandés par Atlas pour influencer le climat des idées. Tous préfèrent rester discrets sur leurs liens avec le réseau américain. Tous ont de nombreux liens entre eux et avec des hommes d’affaires et des grandes fortunes, ainsi qu’avec toutes les nuances de la droite et de l’extrême-droite française. ».

Le même Observatoire a pu retracer les liens qui unissent la plupart de ses acteurs dans un diagramme éloquent qu’on trouvera ci-dessous.

Reseau atlas

Malgré ses dénégations officielles, l’un des plus anciens think-tanks français lié au réseau Atlas est aussi l’un des plus présents dans les médias : la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP). Et il y a peu de chances que vous n’ayez pas vu le « visage » de ce lobby sur nos écrans, celui d’ d’Agnès Verdier-Molinié, qui en a pris la direction en 2009. Sa véhémence et sa pseudo-expertise en ont fait une bonne « cliente » des débats télévisés sur l’effondrement du pays lié à sa dépense publique etc.

Toujours selon l’enquête menée par l’Observatoire des multinationales, c’est en 1987 que l’un des fondateurs de l’IFRAP, Bernard Zimmern, est allé chercher des conseils auprès d’Antony Fisher pour gagner la bataille des idées en France. Citoyen U.S., Zimmern est l’un des grands donateurs de l’Heritage Foundation dont il souhaite reproduire ce modèle en France et s’attaquer à la « bureaucratie française ». Agnès Verdier-Molinié s’est familiarisée avec les méthodes et le fonctionnement des think-tanks américains lors d’un séjour aux États-Unis, et dira avoir été marquée par le professionnalisme de l’Heritage Foundation et du Cato Institute. Elle a depuis, réussi à accroître considérablement la visibilité de l’IFRAP en France. Depuis 2008, elle a publié neuf livres, tous sur les dépenses publiques, chacun d’eux donnant lieu à des campagnes médiatiques de grande audience. Selon les chiffres de la fondation, l’IFRAP a accumulé plus de 800 passages médias en 2022 et dans un large éventail allant de médias étiquetés à droite (Le Figaro, Cnews, Le JDD, Europe 1), en passant sur des chaînes d’informations continues BFM, ainsi que sur RMC, mais aussi France Télévisions (C dans l’air, C l’hebdo, C ce soir…) ou La Chaîne Parlementaire (LCP) !

Derrière un sourire flatteur, une supposée défense de l’intérêt général, et une expertise supposément neutre (« Dire qu’il faut baisser la dépense publique et les impôts, ce n’est pas être libéral, c’est être objectif » ), Agnès Verdier-Molinié fait passer des messages délibérément radicaux. L’Observatoire des multinationales cite ainsi son propos sur l’âge de départ au moment de la réforme des retraites de 2023 :  « 67, ça aurait été vraiment l’idéal, mais 65, on était d’accord pour dire que déjà, ça améliore les choses car à l’horizon 2050, ça fait un peu plus de 40 milliards d’euros d’économies et ça permet vraiment d’équilibrer le régime tandis que 64, ça s’essouffle très très vite, beaucoup trop vite »…

On ne sera pas surpris d’apprendre que si la fraude sociale et l’« assistanat » la font bondir, aucune de ses centaines de publications ou de ses intervention n’a jamais porté sur la fraude fiscale…

Les impôts et la dette

Un excellent antidote à ce type de lavage de cerveau par les influenceurs et les influenceuses dont l’IFRAP et autres Contribuables Associés sont représentatifs, est l’excellent travail récemment produit par Attac, le CADTM, et l’Observatoire de la Justice Fiscale : La dette de l’injustice fiscale - Comment la diminution des recettes publiques et les cadeaux fiscaux ont creusé la dette.
Ce rapport est soutenu également par : Les Amis de la Terre ; Confédération paysanne ; Fédérations des Syndicats Unitaires ; OXFAM ; Union syndicale Solidaires.

On y apprend que depuis 2008, le niveau de dépense publique est resté globalement stable (exception faite de l’année 2020 au cours de laquelle la dépense publique a joué un rôle d’amortisseur). La hausse de la dette s’explique certes par le coût des mesures prises pour faire face à la crise sanitaire (fonds de solidarité, chômage partiel, etc.) et les investissements publics. Mais les baisses d’impôt en représentent également une large part. La diminution des prélèvements obligatoires (impôts et recettes de la Sécurité sociale) a creusé les déficits et alimenté la dette.

Le coût des baisses de prélèvements, net des recettes supplémentaires et des « retours d’impôt » que ces baisses ont pu procurer, représente un manque à gagner cumulé net de 308,62 milliards d’euros sur la période 2018 à 2023. Ce montant compte pour près de 35% de la hausse de la dette. Les « cadeaux fiscaux » aux grandes entreprises et ménages aisés représentent à eux seuls 207 milliards d’euros, soit 24% de la hausse de la dette sur la même période. Ce montant résulte de l’application d’une réforme fiscale résolument en faveur des plus riches et des grandes entreprises : baisse progressive du taux de l’impôt sur les sociétés, des impôts de production, mise en place du prélèvement forfaitaire unique, remplacement de l’ISF par un impôt sur la fortune immobilière (IFI)…

Si la législation fiscale et le niveau des recettes sociales avaient été figés depuis 2017, entre 2018 et 2023, la dette publique s’élèverait à 2795,04 milliards d’euros, soit 99% du PIB au lieu de 109,9%. Si la législation fiscale et le niveaux des recettes sociales avaient été figés depuis 2013, entre 2014 et 2023, la dette publique s’élèverait à 93,8 % du PIB.

Ce rapport fait aussi des propositions pour que les politiques fiscales et la gestion de la dette publique contribuent à une meilleure répartition des richesses, et permettent le financement des urgences sociales, écologiques et économiques.

Derrière la tronçonneuse de Musk, la guerre fiscale des milliardaires. Publié par l'Observatoire des Multinationales, le 04/03/2025.

Elon Musk et l’efficacité gouvernemental [CNews]. Entretien sur CNews, le 25/11/2024. (2min 45)

Le réseau libertarien et ultraconservateur américain qui veut imposer ses idées en France. Publié par l'Observatoire des Multinationales, le 22/05/2024.

À LIRE : La dette de l’injustice fiscale. Publié par ATTAC, le CADTM et l’Observatoire de la Justice Fiscale,  le 26/03/2025.


 

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