Dans le rétroviseur : le feuilleton de l'été. Episode 1

Du Front Populaire au Front de Mer – pour les riches

2016 Désir de Rivage en région malouine : La revanche de 36

 

Avis aux lecteurs et lectrices :

Finalisée pour une parution sur le site du Malotru en Juillet 2016, cette enquête ne peut prendre en compte d’éventuelles évolutions apparues après cette date. Le Malotru, eu égard à la longueur du document, a décidé de le publier en trois épisodes.

1ère Partie Le Nessay à Saint Briac (2016), La Briantais à Saint-Malo (1999), lecture de deux situations comparables et, hélas, opposées

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L’Affaire du Château du Nessay à Saint Briac aura beaucoup marqué les esprits depuis le début de l’année 2016. L’affaire ne semble pas finie.

 Pour beaucoup, elle est devenu le révélateur et le symbole de choix politiques dont ils ne veulent plus dans ce domaine comme dans d’autres, à tous les étages de la cité et du pays : un entre soi confiné aux édiles et aux décideurs économiques, des décisions toujours prises « dans l’intérêt du public », souvent même de bonne foi  et en toute probité, intérêt que l’on connait toujours mieux que le public lui-même, auquel on concède, a posteriori, une réunion ou deux d’information...  Un beau mélange de précipitation et de simulacre de démocratie participative.

Mais cet épisode illustre aussi, à plus d’un titre, l’attachement d’une population à un lieu, une histoire, un environnement.

L’abattage -en catimini- de... trois arbres  « menaçants » (dixit le Maire) au sein du parc, début avril, a constitué la goutte d’eau proverbiale qui a conduit certains à rejoindre la fronde incarnée, entre autres initiatives, par le Collectif « Le Nessay pour tous » lenessaypourtous@orange.fr

En totale fidélité à la valeur imaginaire et sociale du lieu, arguant d’une pratique familiale ancienne de ce type de jouissance et de réjouissance locale, ces énergumènes avaient organisé –dimanche 17 avril- un pique-nique au Château, possession communale depuis 1971. Plus de cent-cinquante personnes y ont participé. Elles marquaient ainsi leur refus de voir privatisé, malgré les dénégations du Maire et du principal « porteur de projet », ce patrimoine exceptionnel.

Rappelons qu’il s’agissait de livrer le site, certes avec quelques contraintes inscrites dans une convention, à un investisseur privé pour la bagatelle de...75 ans. On parle à présent de 50 ans (Ouest-France, 27 juin 2016) Rappelons que le Château et le parc ont hébergé pendant près de cinq décennies des associations qui ont accueilli des milliers d’enfants pour leur faire découvrir le milieu marin. Dernière association en date, les PEP (Pupilles de l’Enseignement Public) ont rendu leur tablier en 2012, ne pouvant -financièrement- faire face seuls aux nouvelles contraintes liées à ce type d’accueil.

Certes, les Briacins avouent volontiers -pour la plupart- qu’ils ne jouissent guère à l’extérieur d’une image très « sociale » ; pourtant, certains vont jusqu’à défendre ce lieu car ils étaient aussi attachés à cette présence régulière de groupes d’enfants «  parfois défavorisés, mais toujours rieurs, heureux », et  -doit-on ajouter- solidement encadrés par des professionnels dévoués et compétents. « Nous sommes même prêts à payer quelques impôts supplémentaires si cela pouvait assurer la poursuite de ce type d’activité » nous ont même assuré certains riverains.

Les mêmes nous ont avoué leur surprise face à la façon dont les décisions municipales ont été prises. « A la hussarde » dira l’un d’eux. Un des élus -membre de la commission municipale ad-hoc-  avouera même au journal Ouest-France : « Je suis mal à l’aise  Je n‘ai pas pensé à poser les bonnes questions » (Ouest-France 9 mars 2013). Savoureux, non ?

L’art et la manière avec lesquelles le projet choisi  a été porté à la connaissance du public relèvent de la virtuosité. Du pur « marketing ».  Qu’on en juge :

Le quotidien Ouest-France, alors qu’une pétition en ligne vient d’être lancée, résume ainsi les conclusions du groupe de travail : « Il a été acté que Le Nessay accueillera un hôtel familial et discret, pas un hôtel de luxe » (Ouest-France 14 mars 2016). Trois jours après, Le Pays Malouin parle d’un « hôtel chic mais abordable, ...comme une maison de famille ». Puis Ouest-France apporte ces précisions : « Un quatre étoiles... Chambres à 200 euros ». Avec ce touchant aveu du « fils du P.D.G du groupe hôtelier Accor », Martin Bazin, « soucieux de répondre aux craintes des habitants » : « Ce ne sera pas un établissement de luxe, estampillé cinq étoiles. Je ne sais pas faire ça... » (Ouest-France 16 mars 2016).

 Ouf, on a eu peur, respirez braves gens, on a échappé à « pire », 200 euros la chambre, une bagatelle, au final... Et l’article de conclure -on ne rit pas- par ces paroles fortes du même auteur : « Ce futur lieu sera donc accessible à tous, que l’on ait un pouvoir d’achat réduit ou élevé, le café à 3 euros, pas davantage... »

De l’art de se payer la tête des gens, oseront certains. Plus c’est gros, plus ça passe, diront d’autres, consternés.

 

Les Jours Heureux

02 jours heureuxDerrière cette « affaire » du Nessay, nombreux sont ceux qui y voient plus qu’un changement d’affectation des lieux. Le Malotru est de ceux-là : A travers de tels épisodes, nous assistons à une mutation radicale, un véritable changement d’époque, la fin d’un compromis social, celui, pour faire court, du Front Populaire et - au-delà des années sombres- du programme du Conseil National de la Résistance. Celui qui pour plusieurs générations, malgré -parfois- les rudes conditions d’existence, restera associé à ce qu’un film récent (Gilles Perret 2013) a ramené à la conscience de nos contemporains  « Les Jours Heureux », premier titre de ce fameux programme rédigé dans la clandestinité.

Ce qu’on évoque ici, cette réappropriation par les classes possédantes de l’accès direct au rivage au détriment des classes moyennes ou de la classe ouvrière et des salariés au sens large ne s’est pas  produite brutalement ici ni ailleurs. Elle s’inscrit dans la durée, la longue durée des historiens.

 On pourrait retracer les jalons qui, dans notre région même, ont petit à petit marqué cette phase historique où géographie économique du rivage et histoire des intérêts financiers et sociaux coïncident et transforment nos paysages de bords de mer.

Dans son ouvrage Le Territoire du Vide, l’Occident et le Désir de Rivage 1750-1840 (Flammarion 1990, disponible en poche Champs Flammarion), le grand historien contemporain Alain Corbin a montré comment un espace délaissé et mortifère est devenu en quelques décennies objet de fascination et d’appropriation esthétique,  affective, puis immobilière, pour les élites intellectuelles et artistiques avant de devenir enjeu de prestige et de pouvoir sous Napoléon III.

Mais le changement le plus visible et toujours largement inscrit dans notre imaginaire ainsi que dans le paysage urbain de la région reste associé au Front Populaire et aux « congés payés ». Les photos de Doisneau ou de Cartier-Bresson ont largement contribué à construire et diffuser jusqu’à aujourd’hui ce légendaire et cette réalité : familles en vélo et en tandem, tentes canadiennes en bord de rivière ou de rivage, développement des campings et des pensions de famille, petits hôtels et auberges de jeunesse, etc. Rappelons qu’à cette époque 80% des Français ne sont encore jamais allés sur le littoral.

Des romanciers contemporains, B.Poirot-Delpech, G.Coulonges, entre autres, ont tenu à rendre hommage à ce moment extraordinaire où le peuple s’approprie, à son tour, ce bord de mer et jouit d’un bonheur jusque-là réservé à une minorité sociale infime. Certes, le mode d’appropriation n’est pas comparable. Il se traduit souvent par le camping ou la location d’un meublé, parfois l’achat d’un petit terrain, puis une petite construction, dans le meilleur des cas, mais cela devenait envisageable, au moins pour les classes moyennes. En témoignent encore sur nos côtes, et même dans nos cités côtières de coquettes petites villas dont la plupart -transformées et rénovées, certes- sont devenues -en moins de trente ans- totalement inaccessibles à des groupes sociaux nettement plus favorisés que ces occupants d’alors.

L’été du grand bonheur G.Coulonges L’été 36 B. Poirot-Delpech
03 coulonges

04 delpech

 

 

 

Les premières pages du livre de Poirot-Delpech, publié en 1984, parleront d’emblée aux lectrices et aux lecteurs du Malotru à qui on ne saurait trop conseiller la lecture de l’ouvrage. L'auteur, éditorialiste littéraire au journal Le Monde, académicien « de gauche », aujourd’hui décédé, y décrit le choc que constitua pour les aristocrates et les bourgeois de notre région l’arrivée de ces « congés-payés » sur « leurs terres et leurs plages ». Pétain ne manquera d’ailleurs pas de rappeler à ces gens du petit peuple, appelés avec dédain  les « congés payés », quatre années plus tard, que cet « esprit de jouissance » était bien le vrai responsable de la Défaite de 1940...

« Le monde n'en a rien su, mais une centaine de témoins ont vu, un matin de l'été 36, ce signe des temps : le droit de propriété et le Dieu de l'Occident bafoués par des campeurs, sur un air de tango !
Cela se passait le 20 juillet, à la Landriais, près de Dinard. »

 

Contre-exemple notable : La Briantais à Saint-Malo n’est plus à vendre, La Briantais n‘est pas à vendre.

Cela aurait pu se produire également sur l’autre rive, là où aujourd’hui promeneurs et mariés en mal de photo-souvenir se promènent en toute saison dans ce qui, au fil du temps, est devenu en 1999 un parc municipal, La Briantais. Non sans difficulté.

Guy La Chambre, au parcours politique particulièrement impressionnant  (postes ministériels, notamment Ministre de L’Air en 1938 lors du Front Populaire, Maire de Saint-Malo de 1947 à 1965) légua La Briantais au Diocèse en 1975. De 1976 à 1998, la propriété resta un lieu d’accueil, de rencontres et de réflexion, animé par le Diocèse.

Ce qui se passa à la fin de cette concession ne pourra être résumé ici, entre offres d’achat (notamment par Daniel Roullier), intervention institutionnelle pour assurer une servitude de chemin de ronde, action en justice, désintérêt fortement affirmé de la Municipalité, en premier lieu...

Au final, La Briantais offre aujourd’hui un excellent -et trop rare-  contre-exemple à ce qu’illustrent le feuilleton du Nessay à Saint-Briac, ou les prédations régulières de ces 30 dernières années d’investisseurs privés sur des hauts lieux de la vie populaire malouine en bord de mer.

Mais les promeneurs d’aujourd’hui  ignorent, pour la plupart, que cette jouissance sereine et éminemment populaire de la Briantais résulte largement d’une longue et exemplaire mobilisation populaire. On vit alors le Maire de l’époque, René Couanau, d’abord hostile à toute offre d’acquisition par la ville, revenir sur ses déclarations péremptoires, et se résoudre à faire entrer cette superbe propriété dans le giron collectif, avec l’aide du département et de la Région.

Cas presqu’unique, assurent les connaisseurs du « Roi René », de renversement de décision et d’opinion, avec, toutefois,  l’épisode notable de la mise en gestion municipale de la distribution d’eau... Connaissant la « fièvre vendeuse » de l’actuelle équipe municipale, on frémit rétrospectivement, à la pensée qu’elle aurait eu à gérer cette situation. Certains en frémissent même aujourd’hui. Mais qu’ils se rassurent : Claude Renoult, en novembre 2014, est intervenu en Conseil Municipal, pour démentir les rumeurs concernant une vente éventuelle du parc par la Ville qui assure alors réfléchir à « une mise en valeur du littoral entre La Passagère et Saint-Servan ». Qu’on se le dise, et que l’attention reste vive.

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Carte postale du début du siècle

 

 

Vous pourrez lire la suite en ligne dès le 15 juillet