Respirer malgré les baillons

Splann ! Clair en breton. Comme un bruit de porte qui s’ouvre brutalement sous le souffle d’une rafale. Une bouffée d’air neuf fait irruption dans le paysage médiatique breton. Le réveil d’une conscience citoyenne ancrée dans une région (les tenants de l’administrativement correct parleront de « territoire ») qui garde encore le souvenir qu’il faisait bon y vivre. Une conscience qui s’insurge contre ce parti pris d’une course vers l’absurde que les décideurs s’acharnent à justifier au nom d’un prétendu réalisme économique, comme le triste reflet de leur incapacité à penser autrement.

Logo Splann !

On a fait de la recherche du profit le parangon du bonheur, au prix de la destruction des paysages, de la stérilisation de la terre, de la commercialisation du rivage et de la négation des alternatives. La porte était fermée depuis longtemps, coincée d’une main de fer par le lobbying des puissants, le relatif silence des grands médias régionaux et la bienveillance du pouvoir politique. Mais l’atmosphère était devenue étouffante. Et nous y sommes. La porte s’ouvre. À nous de la tenir ouverte à deux battants. Nous devrions dire à deux battantes, car sans elles, Inès et Morgan, mais d’autres aussi, nous n’aurions peut-être pas connu de sitôt la naissance de Splann, une ONG « entièrement dédiée à l’investigation journalistique en Bretagne, créée sous forme d’association à but non-lucratif ». Non lucratif, rendez-vous compte. Ça sonne presque comme une langue étrangère. Ainsi donc, la graine est semée. Pour qu’elle prospère et grandisse, elle a besoin de nous, d’une pluie de dons et de soutiens pour que se dégage ce ciel lourd de menaces.

Les intoxiqués de Triskalia1, le scandale de Chéritel2 ou des algues vertes3 ont été des révélateurs du système mis en place par un capitalisme breton prompt à s’ériger en pseudos-défenseur de l’identité régionale pour cacher sa cupidité. Les succès récents enregistrés devant les tribunaux, encourageants, certes, ne sauraient occulter la dure réalité d’un combat quotidien, d’une lutte pied à pied où seul compte le rapport de force. Les lobbies de l’agroalimentaire, de l’agrochimie, les organisations professionnelles qui défendent le productivisme peuvent compter sur la bienveillance d’une politique régionale plus soucieuse parfois de succès électoraux que du bien-être de ses administré.e.s. Extension de poulaillers industriels, méthaniseurs, centrales à gaz, usines à cochons… Les populations s’inquiètent, voire s’y opposent. Mais la cellule Demeter veille… La cellule Déméter ? Mais oui rappelez-vous cette idée grandiose de notre ex ministre de l’intérieur de créer une direction de la gendarmerie chargée de traquer les opposants au modèle agricole en vigueur. Et ne parlons pas du sort peu enviable réservé à la Convention Citoyenne pour le Climat4.

Pour faire bonne mesure -ça vient de sortir- un rapport parlementaire5 vise à renforcer l’arsenal pénal contre « les militants antiglyphosate, véganes ou antichasse » qui « stigmatisent des activités légales » comme « les OGM, la corrida, l’utilisation de glyphosate et autres produits phytosanitaires, les activités cynégétiques ou la consommation de protéines d’origine animale ». Les auteurs ciblent certaines associations et précisent que « les avancées démocratiques ne peuvent pas se faire en imposant des idéologies par la voie d’exactions, d’attaques, de menaces ou encore de pressions sur des activités légales ». La démocratie, finalement, c’est un problème de porte ouverte ou fermée, et quand on ferme la porte aux critiques, c’est toujours plus confortable pour nos décideurs.

Alors, ne masquons pas la réalité. Dans le contexte actuel d’un pouvoir soucieux d’utiliser la crise sanitaire pour réduire les libertés publiques, Splann est un ballon d’oxygène, oui. Nous avons tou.te.s besoin d’assistance respiratoire démocratique, d’accord. Il faut saluer de courage de ses fonda/trices/teurs. Bon, c’est fait.

Maintenant, on y va, on les aide ► Splann !

Références

Article dans Reporterre, 21 septembre 2016. Le drame des salariés de Triskalia intoxiqués aux pesticides.

Article dans Basta ! 26 mars 2019. Travail dissimulé, fraude sur les étiquettes : les multiples abus d’un groupe agro-industriel breton.

Algues vertes. L'histoire interdite. Vidéo de présentation du scandale des algues vertes en Bretagne raconté en bande dessinée.

Article dans Basta ! 8 février 2021. Comment les lobbys industriels ont saboté les réformes voulues par les citoyens de la Convention climat.

Article dans Reporterre, 28 janvier 2021. Le rapport parlementaire qui veut mettre les militants écologistes en prison.

Liberté de la presse