¡ Gobernaré escuchando !

"Je gouvernerai en écoutant"

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Lors de son discours d’ouverture du conseil municipal de Madrid issu des dernières élections locales, le nouveau maire, Manuela Carmena, a prononcé ces mots dans son introduction, en rupture avec la « gouvernance » de l’équipe précédente menée par le parti Populaire (quelle horreur ce terme managérial pour parler de politique). Madrid, comme Barcelone, Valence, Cadix, La Corogne, Saragosse ont fait le choix de représentants soutenus par des plateformes de la gauche radicale appuyées par le parti anti-austérité Podemos.

Il ne s‘agit pas de d’exprimer dans cette rubrique une quelconque euphorie qui ferait du Malotru un zélateur empressé de ces nouveaux édiles. Nous les verrons à l’œuvre. Mais la formule est belle. Souhaitons qu’elle soit bonne, qu’elle vive au-delà des premiers matins d’ivresse qui suivent le succès.

Aussi bien Manuela Carmena à Madrid qu’Ada Colau à Barcelone, ont bien clair à l’esprit qu’elles arrivent au pouvoir avec un mandat très explicite : réformer la donne sociale. Elles ne sont affiliées à aucun parti, et paradoxalement c’est ce qui fait leur force. Leur indépendance, la force de leur engagement dans les luttes sociales et dans la dénonciation d’une captation de la démocratie par des partis traditionnels -englués dans des scandales ou des calculs politiciens- leur ont valu la confiance des électeurs et des électrices, et surtout de ceux ou celles qui ne votaient pas ou plus. Des déçu.e.s, des jeunes, des exclu.e.s, des pauvres…

 

Bienheureux espagnols ! Porter au pouvoir des gens qui les écoutent…et qui ne veulent pas trahir leurs engagements de campagne, comme à Madrid par exemple : créer une banque publique municipale, restructurer - voire supprimer - une partie de la dette de la mairie, geler les expulsions de logements, récupérer la gestion de certains services municipaux concédés à des entreprises privées, mener une grande politique sociale contre l’exclusion, la violence et les ségrégations de toute sorte. Tiens, cela ne vous rappelle pas quelque chose ?

 

C’est aussi ce choix qu’a fait le peuple grec dès janvier dernier, et qu’il a conforté récemment à plus de 61% malgré le déchaînement de violence et de haine qui a traversé la quasi-totalité des medias français et européens contre ce gouvernement Tsipras, dont l’erreur était selon ces derniers d’écouter et de mettre en œuvre la politique qu’avaient voulu ses électeurs. Des insultes et des calomnies que l’on n’avait jusqu’à présent jamais entendues dans la bouche d’hommes d’état ou de vedettes de la presse, et dont on pouvait penser que l’usage en politique était réservé à des régimes d’une autre couleur que le drapeau européen*.

 

Les gouvernements sont au service des peuples. Il y a urgence à le rappeler ici et maintenant, et en particulier dans les medias : l’enjeu démocratique traverse la société, partout et tout le temps. Contrairement aux discours sentencieux ou moralisateurs de tel ou tel éditorialiste prônant l’obéissance voire la soumission, les électeurs restent responsables de leurs choix après la clôture du scrutin. La démocratie représentative n’est pas une forme de sous-traitance qui donnerait carte blanche à des élus européens, nationaux ou locaux, pour faire ou ne pas faire ce qui était annoncé dans le programme qui leur a valu leur mandat, ou faire autre chose. C’est semble-t-il ce que ne n’admettent pas la plupart des responsables politiques européens. Ni cette kyrielle de commentateurs « institutionnels » que l’on lit, que l’on voit ou l’on entend partout à longueur de journée. Les campagnes de dénigrement des revendications populaires, en Grèce et ailleurs, traduisent l’exaspération de nombreux grands medias de voir s’exprimer des opinions qui questionnent les élites ou s’opposent à la pensée dominante. La pensée politique lorsqu’elle émane des citoyens non experts, non spécialistes, non reconnus, est considérée par eux comme illégitime, quasiment obscène. C’est pourtant le choix qu’a fait le gouvernement grec, donner la parole au peuple, et lui confier la responsabilité de la décision. Et ce n’est pas l’honneur de la presse que d’en brocarder le sens.

 

Ainsi donc, la pensée politique serait admissible lorsqu’elle est assénée d’en haut, mais inacceptable quand elle émane de la consultation populaire. Dans notre belle région de la Côte d’Émeraude, il semble bien que l’on soit logé à la même enseigne, toute proportion gardée s’entend. Que doit-on penser en effet de cette parole tronquée qu’autorisent les medias locaux lorsque des voix dissonantes se font entendre ? Ainsi, la presse de proximité obéirait donc aux mêmes règles visant à ôter toute consistance à une pensée politique locale issue des citoyens non experts, non légitimes, non reconnus. Ce serait donc aussi simple que cela : on ne peut être entendu si l’on n’est pas lu, lu dans la cohérence d’un texte qui fait sens dans sa globalité. Donc, on supprime de tel communiqué ce qui fait sens pour les populations de la région, et le tour est joué. Un exemple récent, mais il y en eut bien d’autres : une lettre ouverte adressée aux élus de la région par le collectif Stop TAFTA du Pays de Saint Malo et du Pays de Rance est parue, certes, dans  deux medias locaux, mais amputée des références à de possibles conséquences locales de ce projet d’accord transatlantique si dangereux pour la démocratie de proximité. Et du coup, le texte prend l’allure d’une proclamation générale, un peu formelle, sans lien direct avec les préoccupations des gens du coin. C’est quand même un comble, pour une presse locale !

 

Ce mode de fonctionnement, dont l’effet lénifiant affadit tout débat, tend à déresponsabiliser la population et semble inspirer aussi la sphère municipale. Emu par des propos tenus sur l’avenir de la Maison des Associations par le maire actuel à son arrivée à la mairie de Saint Malo, un groupe de plusieurs associations s’est fendu d’un courrier à l’adjointe en charge du dossier pour s’inquiéter de l’absence de toute information précise sur le sujet, et solliciter un rendez-vous. Quoi de plus évident en effet que de se considérer comme un interlocuteur naturel dans ce débat et faire entendre sa voix au même titre que d’autres acteurs également fort intéressés à la décision finale.  La réponse qui leur a été faite incite à la vigilance. La réflexion est en cours, mais sans les associations concernées. Dormez tranquilles, braves gens…Nous pensons pour vous.

 

Au 6ème  mois de fonctionnement, Le Malotru s’inscrit pleinement dans cette dynamique qui voit fleurir sur Internet une multitude de sites animés des mêmes intentions : exprimer au plus près des citoyens une parole politique différente, ancrée dans les réalités locales, malgré le déferlement de la pensée unique dans les médias traditionnels ; se dégager de la référence quasi unique à la toute-puissance de l’économie comme critère d’évaluation de notre société; contribuer, modestement à redonner au citoyen la place qu’il mérite, celle d’acteur politique de premier plan. Les grecs, d’ailleurs, l’ont bien compris depuis longtemps, en créant le mot « politikos » dont le sens premier est citoyen.

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*Voir l’article de Pierre Rimbert dans Le Monde Diplomatique de Juillet 2015 «Syrisa delenda est »