Éléments d'actualité fiscale - retour sur Octobre 2023

Ce mois d’Octobre 2023 aura été marqué par de nombreux faits, des débats largement médiatisés, et quelques révélations ou confirmations en lien avec nos thématiques financières et bancaires.
Nous avons opéré un choix bien subjectif et difficile tant la matière est riche…

Certains médias nous ayant rappelé les limites à la rediffusion de leurs articles liés à des abonnements (l’information a un prix), nous nous en tiendrons à donner le lien vers ces articles après en avoir résumé le contenu et donné éventuellement quelques extraits.

Médiatisation élargie des enjeux de fiscalité

La bataille concrète pour la justice fiscale est loin d’être gagnée mais la bataille culturelle gagne du terrain mois après mois , au-delà même du cercle des « spécialistes ». L’évasion fiscale des milliardaires et la croissance de leurs avoirs financiers logés dans des entités à faible taxation, en particulier, sont devenues plus insupportables encore à nos concitoyens. En témoignent des « dossiers » comme celui du quotidien Ouest-France « La question du jour. ⁠Faut-il taxer les milliardaires ? ».
La question du jour. ⁠Faut-il taxer les milliardaires ? Publié dans Ouest France, le 23/10/2023.

En accès direct, écoutez aussi en rediffusion deux excellentes émissions récentes de France-Culture sur « Évasion fiscale : les multinationales auront-elles toujours un coup d’avance ? » et sur « les récentes ruses des États pour maintenir leur attractivité envers les multinationales ».
Pascal Saint-Amans qui fut un des architectes de l’initiative 15 % impôt minimal sur les sociétés finalisée par l’OCDE, participe aux deux émissions pour y défendre « son bébé ». Il est mis en difficulté dans la seconde émission par Gabriel Zucman, auteur principal d’un rapport récent qui révèle les limites de cette « initiative Biden » et les ruses de certains états pour se soustraire à cette obligation pourtant bien peu révolutionnaire…

Selon ce rapport (en anglais), publié lundi 23 Octobre 2023 par l’Observatoire européen de la fiscalité, les multinationales continueraient de loger 35% des profits réalisés à l'étranger dans des paradis fiscaux. Sur un total de 2.800 milliards de dollars concernés, 35 % (1.000 milliards) ont été dirigés vers ces paradis en 2022 et parmi elles beaucoup d’entreprises américaines.

En écoutant ces émissions, vous saurez à peu près l’essentiel de l’état actuel du sujet, vous vous épargnerez des heures de lecture d’articles plus inutilement complexes !

Évasion fiscale : les multinationales auront-elles toujours un coup d’avance ? Émission sur France Culture, le 26/10/2023. (58 min.)
Niches fiscales : pourquoi les pays de l’OCDE ne tiennent-ils pas leurs promesses ? Émission sur France Culture, le 31/10/2023. (38 min.)

Tracfin a encore frappé, illustration du mois

Un cas d’école d’évasion fiscale en France, celui du charismatique Laurent Lévy, objet de portraits dithyrambiques dans la presse de droite (Paris-Match, Les Échos, Le Figaro etc.), illustre patron d’Optical Center. Il est soupçonné d’avoir blanchi 275 millions d’euros, soit plus de 60 millions d’euros par an entre 2018 et 2022 au détriment de son entreprise dans le but de s’enrichir. Cette fraude aurait fait perdre 85 millions d’euros au fisc français… Le tout en jouant de montages bien huilés entre Paris, Israël, Hong-Kong… Un vrai polar.
Le patron d’Optical Center soupçonné d’avoir blanchi 275 millions d’euros. Publié sur Médiapart, le 25/10/2023.

« Liste » des paradis fiscaux, le retour des oubliés…

C’est devenu un des « marronniers » de la presse européennes et la blague la plus éculée de ces dernières années. Mais le rituel se poursuit malgré l’inanité reconnue de ces listes noires ou grises qui servent surtout à faire croire à l’opinion que « l’Europe agit ».
On se souvient combien facilement Jersey avait obtenu d’être, en quelques jours, retirée de ce type de liste après de simples remontrances des services de Sa Majesté auprès de Bruxelles. L'Union Européenne vient d'ajouter Antigua-et-Barbuda, Belize et les Seychelles à sa liste noire des paradis fiscaux. Mais l’un des principaux pourvoyeurs de montages d’évitement fiscal à destination des entreprises, le Luxembourg n'y figure pas, au grand dam de l'ONG Oxfam.
Oxfam déplore l'absence du Luxembourg de la nouvelle liste des paradis fiscaux. Publié par l’organe luxembourgeois Virgule, le 18/10/2023.

On lira avec intérêt, dans le même périodique, comment, en effet, malgré ses dénégations, le Luxembourg figure toujours parmi les plus importants paradis fiscaux dans le monde, selon l'Observatoire européen de la fiscalité (Directeur : Gabriel Zucman). Le Luxembourg se classe cinquième de ce classement mondial, avec 49 milliards de dollars détournés en 2020, les deux premiers du classement étant l'Irlande (avec 145 milliards de dollars détournés) et les Pays-Bas (180 milliards).
Le transfert de bénéfices ne semble pas près de s'arrêter» signale l'Observatoire européen de la fiscalité : Entre 2015 et 2022, « la part des bénéfices étrangers transférés vers les paradis fiscaux est restée constante au cours de cette période, autour de 35% », précise-t-il, ajoutant que « cela ne veut pas dire que les initiatives politiques de la dernière décennie n'ont eu aucun effet: en l'absence de ces politiques, le transfert de bénéfices aurait pu être encore plus élevé aujourd'hui ». Maigre victoire...
Le Luxembourg toujours parmi les principaux paradis fiscaux. Publlié par Virgule, le 30/10/23.

Jersey : Comment les hauts cadres de la finance (« those with the word 'chief' in their job titles ») sont invités à prendre soin des S.D.F

L’initiative vient d’une association caritative locale, le Sanctuary Trust, qui vient en aide aux nombreux déshérités jersiais qui n’ont pas de logement -ils ont parfois un travail. Ils et elles hantent les nuits de l’Ile comme des fantômes, dormant dans de vieilles voitures ou dans les parkings couverts en bordure de Saint-Hélier et ailleurs…
Même si l’Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme, de Max Weber a subi aujourd’hui quelques critiques et amendements, on sait combien la charité est une valeur culturelle dans la tradition anglo-saxonne, parfois au détriment de la justice…

Fidèle à cette tradition, Tim Ringsdore, président du Sanctuary Trust, a eu l’idée lumineuse d’aller chercher des sous pour soutenir son foyer d’accueil en misant sur l’esprit de compétition (en anglais, 'concurrence' se dit 'competition') de ses pairs, financiers et chefs d’entreprise. Il les met au défi pour qu’ils découvrent par eux-mêmes la dure réalité de celles et de ceux qui vivent sans logis en les conviant à passer une nuit dans un simple sac de couchage, dans un parking, une nuit de Novembre… en se faisant « sponsoriser » par leurs amis et leurs familles, leurs collègues etc.
On imagine bien en France Bernard Arnault ou Vincent Bolloré se porter volontaires, avec couverture... médiatique assurée, déconnez pas quand même. Si cela vous intéresse contactez fundraiser@sanctuary.org.je.
Charity sleep-out highlights the hidden reality of homelessness in Jersey. Publié par le Jersey Evening Post, le 12/10/2023.

La Charité a ses limites, philanthro-capitalisme et tolérance chez les donateurs milliardaires…

La générosité de nombreux milliardaires américains à travers leurs fondations est souvent vantée chez nous par quelques esprits libertariens qui accusent l’État de prédation fiscale et de soviétisme culturel. Cela fait école au sein de nos élites politico-financières où on voit même un ancien ministre de la Culture devenir conseiller particulier des investissements artistiques d’un de nos plus grands milliardaires.

En soutenant, avec quelques faveurs de défiscalisation, des projets à leur goût, ces mécènes orientent des choix artistiques, muséaux, éducatifs, universitaires, majeurs à l’échelle du pays lui-même. On a vu lors de la crise de 2008 ou celle du Covid comment, à la différence des états -financeurs, ce type de financement privé pouvait fragiliser des institutions muséales ou culturelles du fait de défaillances d’entreprises ou d’effondrement des valorisations financières qui les soutenaient. Voir les difficultés récentes du Royal Opera de Covent Garden à Londres...

Un aspect moins connu vient de surgir dans l’actualité avec la menace contre des étudiants et étudiantes de la prestigieuse université d’Harvard qui avaient osé dénoncer la responsabilité du « régime israélien » dans la guerre qui l’oppose au Hamas. Certains riches donateurs de l’université sont sortis de leurs gonds. Dans l’article du Monde qu’il publie sur ce sujet, Arnaud le Parmentier donne quelques exemple de ces réactions de donateurs ulcérés :
« Le patron du hedge fund Pershing Square, Bill Ackman, a demandé la liste des membres des associations signataires. « Un certain nombre de PDG m’ont demandé si Harvard publierait une liste des membres de chacune des organisations de Harvard qui ont publié la lettre attribuant l’entière responsabilité des actes odieux du Hamas à Israël, afin de s’assurer qu’aucun d’entre nous n’embauche l’un d’eux par inadvertance », a twitté M. Ackman.»
Devant les critiques, le financier a persisté : « Embaucheriez-vous quelqu’un qui imputerait aux victimes les violences ignobles d’un groupe terroriste ? Je ne pense pas. Embaucheriez-vous un membre d’une association scolaire qui aurait publié une déclaration accusant les victimes de lynchages perpétrés par le Ku Klux Klan, je ne pense pas. »
Et l’auteur de l’article ajoute : « Leslie Wexner, ancien patron de Victoria’s Secret, a décidé de couper ses liens avec Harvard. Ronald Lauder, président du Congrès juif mondial et héritier d’Estée Lauder, a menacé de supprimer les donations à l’université de Pennsylvanie. »
La liste des donateurs ulcérés et menaçants est loin de s’arrêter là. On laissera le correspondant du Monde conclure : « L’affaire, écrit-il,pose la question de l’influence académique de ces donateurs prétendument désintéressés et les étudiants concernés se défendent au nom de la liberté d’expression…»
Des donateurs milliardaires en colère contre les étudiants anti-Israël de l’université Harvard. Publié par Le Monde, le 24/10/23.

On dirait un blague: Un cercle de réflexion autour de Jérôme Cahuzac...

Non, vous ne rêvez pas, l’affaire est sérieuse, révélée par Le Petit Bleu d’Agen : Alimenter un compte à l'étranger à partir de contrats de santé publique, mentir "les yeux dans les yeux" devant la Représentation nationale sur l'existence d’un compte à l'étranger, puis se plaindre de l'hostilité de l'opinion publique, il faut oser. Il a osé (« c'est à cela qu'on les reconnaît. »)…

Dix ans après son départ du gouvernement, l’ex-ministre du budget, condamné pour fraude fiscale, vient de lancer son association politique « Les amis de Jérôme Cahuzac »… Son objet social est décrit au Journal Officiel : « Réflexions, idées, échanges, propositions sur le développement économique, social, culturel, politique du territoire aux niveaux communal, circonscription, département et national ; organisations de toutes manifestations, repas et réunions publiques et privées. »
Sans commentaire.
Jérôme Cahuzac réunit ses « amis » dans son fief en Lot-et-Garonne. Publié par Médiapart, le 20/10/2023.

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