Jouez au riche, devenez mécène, c'est le sport à la mode! 2ème partie

Après une 1ère partie qui vise à retracer brièvement l'origine largement anglo-saxonne du mécénat, cette seconde partie en vient à observer sa diffusion en France dans un contexte néo-libéral où "ruisellement", réduction des contributions citoyennes pour les riches, délitement de l'état, et appel à l'individu comme "entrepreneur de sa vie" font le lit de cette appel à "générosité".
De la Silicon Valley des Gates à Saint-Malo des Raulic et autres Beaumanoir, ça diffuse…

Lire la première partie

Le modèle du mécénat à la française privilégie le monde de la culture

La plupart des banques développent une offre spécifique, faisant valoir, par exemple, que « donner des titres avant de céder sa société diminue l'imposition des plus-values »… En déclarant préférer lutter contre la malaria au Congo (Fondation Gates) ou ouvrir un centre d'art à Landerneau (Fondation Leclerc) (1) plutôt que de payer leurs impôts en jouant le jeu des filiales et des défiscalisations, par exemple, les grands marchands de ce nouveau siècle font oublier New Deal, État-Providence, programme du C.N.R (Conseil National de la Résistance), redistribution par l'impôt et trente Glorieuses. Ils minent le consentement à l'impôt, fondement de la démocratie sociale. Ruse suprême, ils se voient aussi parer du statut de héros et de modèle par des médias bienveillants (dont ils sont parfois les propriétaires), ainsi que par des politiques largement consentants. Avec la complicité de ces derniers, ils sapent délibérément le rôle de l'état et le désarment dans la plus que jamais nécessaire redéfinition de l'intérêt général.

Le mécénat « à la française » privilégie depuis longtemps le monde de la culture. On rappellera, illustration quasi caricaturale de ce domaine culturel, la figure de Jean-Jacques Aillagon. En 2003, ce ministre de la Culture fait voter une loi qui encourage le mécénat, assurant une déduction possible de 60% de leurs dons du montant de l'impôt pour entreprises et particuliers. Ce chiffre peut atteindre 90% pour les sommes données à un musée pour acquérir une œuvre « d'intérêt patrimonial majeur »…

Affiche BNP

Fondations et musés privés, constitutions de collections privées, etc se sont alors multipliées dans un maelström impressionnant face à un état manquant cruellement de moyens, notamment du fait de l'évasion fiscale et de la baisse constante de l'impôt sur les sociétés.

Affiche évasion fiscale

Au même moment, en Grande-Bretagne, selon la même « révolution » amorcée par Mme Thatcher une des salles de peinture primitive de la National Gallery se voyait baptisée « Aile Sainsbury » du nom d'une chaîne de supermarchés. Le « naming » était né…
Les visées stratégiques de ces nouveaux mécènes ne coïncident, en fait, que rarement avec les missions de service public de l'État. Et notre cher J.J Aillagon offre une illustration emblématique de ce conflit d'intérêt : à peine a-t-il quitté le Ministère de la Culture qu'il devient conseiller de notre champion international, François Pinault dont, rappelons-le, la carrière a commencé modestement sur les quais de Saint-Malo. Après quelques allers-retours public-privé, le successeur d'André Malraux à la Culture est aujourd'hui encore auprès de notre collectionneur breton, soufflant ses conseils avisés en matière d'achats d'œuvres d'art contemporaines. Qu'on imagine André Malraux jouant ce rôle…

Mais qui donc a soufflé à l'oreille du milliardaire breton le nom d'un village de notre région dont le Maire désespérait de ne pouvoir rénover son église. Il s'agit de…Stéphane Bern ! L'entremetteur médiatico-culturel, et sa Fondation du Patrimoine, ont, en effet, transmis avec succès à F. Pinault le dossier de la mise hors-d'eau de l'église de La Beaussaine, entre Bécherel et Tinténiac (2). Incidemment, le beau chèque signé de l'enfant du pays il y a un an lui permet de bénéficier d'une défiscalisation de plus de 112 000 euros, une paille si l'on compare cela aux 100 millions d'euros promis par notre Breton pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris (dont on promet qu'il s'agit, cette fois, d'un don « pur », non défiscalisé, Alleluiah !).

La Révolution française a inauguré une nouvelle ère où le principe de justice prime désormais sur celui de « charité »

Hôpital sous perfusion

La puissance publique, certes, ne peut pas tout assurer. Mais si la « tradition caritative », religieuse ou laïque (« Tu es le gardien de ton frère »), a une longue histoire dans notre culture et dans notre pays, la Révolution française a inauguré une nouvelle ère où le principe de justice prime désormais sur celui de « charité ».

Depuis longtemps, la puissance publique accompagne, cependant, cette dernière dans des formes légales laïques ou laïcisées, souvent associatives, quand celle-ci se manifeste. Nul ne contestera, sans doute, le travail effectué auprès de citoyens démunis par des associations comme Emmaüs, CCFD-Terres Solidaires, les Restos du cœur, le Secours Populaire, etc ou par des O.N.G comme les « French doctors » de M.S.F ou Médecins du Monde.

Perversion du modèle et désarmement de l'État

Aux USA, on l'a vu, l'État-providence n'existant pas, certains mécènes ont pris en charge des missions d'intérêt général, éducation, culture, santé qui sont dévolues chez nous à la puissance publique. Or depuis une vingtaine d'années la philanthropie française, initialement attachée surtout au mécénat culturel, a fait tache d'huile dans des domaines où on ne l'attendait pas…
Quand les assos, pour faire simple, font « le boulot de l'état » et grignotent sur le domaine traditionnellement « régalien » comme la santé publique, cependant, on entre dans la zone grise, nous y sommes désormais, où via les politiques fiscales « incitatives » chacune des parties, associations/État croit y trouver son compte. Les assos gagnent en « influence » et en visibilité dans un contexte de « concurrence des pitiés », l'État y trouve un remède -douteux- à ses obligations de réduction des fameux déficits publics.
Ainsi on a vu apparaître un certain nombre de formules prenant acte de cette évolution, invitant, dans les « années Thatcher-Reagan », le secteur privé à prendre le relais d'un état libéral qui se désengage. En France, les Fondations reconnues d'utilité publique apparaissent en 1987 (année de naissance du…Téléthon), les fondations d'entreprise en 1991, les fondations hospitalières en 2009.

Après Paris (Fondation Foch, par exemple) et Rennes (Fonds Nominoë/ CHU), Saint-Malo... Un plan d'ensemble?

Fonds nominoe

Un peu à l'image des Partenariats Public Privé (P.P.P) dans le domaine des engagements « structurels » de l'état, certains états, à partir de 2010, Grande-Bretagne en tête (gouvernement de David Cameron), ont même engagé des programmes appelés Social Impact Bonds (S.I.B) qui permettent à des investisseurs privés de financer l'action sociale (3). Ces investisseurs assument le risque financier dans l'espoir d'un gain en cas du succès du programme. Aux États-Unis, Goldman-Sachs a été un des premiers financeurs de projets. En Australie un taux de 7,5% fut servi par les services de l'état au premier S.I.B, à comparer aux faibles taux des Banques Centrales…
Le jour viendra-t-il, suivant cette logique, où les actions sociales et les politiques publiques seront dépendantes de financeurs privés ? On voit, en tout cas, clairement se réduire l’écart radical qui sépare la France des États-Unis et d'une certaine tradition anglo-saxonne, historiquement et culturellement rétive face à la puissance de l'état.

A vot'bon cœur, à vot'santé : Donnez et vous recevrez...des avantages fiscaux
Ou comment s'escamote la responsabilité régalienne

Abbe pierre

 

 

Publicité parue dans Le Monde Diplomatique (!) Juin 2018

 

La pandémie de la Covid-19 a fait éclater aux yeux de tout le désarmement organisé depuis des années de notre service public national de santé et mis en lumière la responsabilité des choix opérés par des gouvernements.
Dans une tribune publiée dans Le Monde le 27 mai (4), le professeur Gérard Dubois, membre de l’Académie de médecine, rappelle qu'alors que le stock de masques était au plus haut en 2009 a été conduit par la suite à un désarmement progressif sous la pression d’impératifs financiers. Il rappelle que « La santé est depuis toujours une des premières préoccupations des Français qui se tournent immédiatement et sans hésitation vers l’ État dès que se profile un problème sanitaire, une incertitude ou un scandale, et la France n’en a pas manqué. » Nous lui empruntons également ces remarques : « Le préambule de la Constitution de 1946 établit un droit à la santé, et un des principes de la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) stipule que « les gouvernements ont la responsabilité de la santé de leurs peuples ; ils ne peuvent y faire face qu’en prenant les mesures sanitaires et sociales appropriées. » On ne peut être plus clair : la santé est bien une responsabilité régalienne, qui doit désormais être reconnue comme telle. Avec le budget qui permet d'assurer cette fonction. À Saint-Malo comme ailleurs, les attaciens et un nombre croissant de citoyens savent que depuis des décennies notre état mais aussi l'Union Européenne ont toléré, voir favorisé, optimisation et évasion fiscale des grandes entreprises et des grandes fortunes. Quelques timides avancées ne suffiront pas à éteindre notre combat pour changer profondément cela. Les chiffres peuvent faire l'objet de discussion mais les rapports officiels eux-mêmes chiffrent entre 60 et 80 milliards le manque à gagner annuel pour notre Trésorerie Nationale, depuis des décennies. Autant de lits d'hôpitaux, de postes d'infirmier(e)s, etc en moins, bien sûr.

Conclusion

QUAND l'HÔPITAL SE FOUT DE LA CHARITÉ

Infirmiere

Les comités ATTAC de Bretagne ont récemment publié un communiqué commun. Pour conclure, nous leur empruntons les lignes qui suivent :

La crise du coronavirus plonge nos économies dans une situation exceptionnelle. Le Parlement français vient d’adopter deux lois de finance rectificatives programmant des dépenses supplémentaires pour faire face à la crise. Cependant, le gouvernement ne prévoit pas de recettes supplémentaires, faisant le pari que le retour de la croissance permettra d’équilibrer les comptes publics. Plutôt que de faire payer les contribuables en fonction de leurs moyens, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a lancé un appel à dons, tandis qu’Ursula von der Leyen, Angela Merkel, Emmanuel Macron et la plupart des dirigeant.e.s européen.ne.s organisent un “Téléthon mondial” !

La concurrence fiscale et sociale qui sévit depuis une trentaine d’années a conduit les États à baisser les impôts des plus aisé.e.s, des ménages riches, et des grandes entreprises : baisse de l'impôt sur les sociétés, baisse des impôts directs (sur le revenu et le patrimoine des ménages ainsi que sur les bénéfices des sociétés), compensée par la hausse d’impôts indirects payés par l’immense majorité des ménages, comme la TVA qui prélève plus les pauvres que les riches en proportion de leur revenu.

Parallèlement, les ménages les plus riches et les plus grandes entreprises échappent à l’impôt via des mécanismes d’optimisation agressive et d’évasion fiscale. Ces choix budgétaires ont dégradé la qualité et l’envergure des services publics, tout en aggravant l’injustice fiscale puisque chacun.e ne paye pas sa juste part d’impôt.

Ce que propose Attac

  • Un rééquilibrage du système fiscal est incontournable pour financer l’action publique, améliorer la capacité du système fiscal à réduire les inégalités, en finir avec la concurrence fiscale et améliorer le consentement à l’impôt, fortement dégradé du fait de l’injustice fiscale.
  • Prélever une contribution exceptionnelle sur le patrimoine des 1 % les plus riches
  • Rétablir et rénover l’impôt de solidarité sur la fortune
  • Rétablir la progressivité de l’imposition des revenus financiers
  • Supprimer les niches fiscales inutiles et les exonérations antiécologiques
  • Instaurer la taxation unitaire des multinationales pour lutter contre l’évasion fiscale
  • Taxer l’ensemble des transactions financières

▶ Lire l'article sur la campagne Attac #L'argent est là

NOTES :

1) Voir : Michel-Edouard Leclerc se rêve en mécène du Finistère. Article Le Monde 11.10. 2012. https://www.lemonde.fr/economie/article/2012/10/10/michel-edouard-leclerc-se-reve-en-mecene-du-finistere_1772832_3234.html
On retiendra cet aveu touchant : « Mon épouse et moi-même sommes tous les deux rebelles, progressistes et réformateurs »

2) Voir : Un don de François Pinault pour une église. Article Ouest-France 16.04.2019. Tanguy Homery

3) Voir : Quand les investisseurs privés financent l’action sociale. Tribune Le Monde 04.02.2016. https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/02/04/quand-les-investisseurs-prives-financent-l-action-sociale_4859395_3234.html

4) Voir : La santé, une responsabilité régalienne qui doit être reconnue comme telle. Tribune Le Monde 27.05.2020. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/27/la-sante-une-responsabilite-regalienne-qui-doit-etre-reconnue-comme-telle_6040873_3232.html

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