Eléments d'actualité fiscale - Août, Septembre 2025
- Le 08/10/2025
- Dans Economie / Finance
Un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir certaines informations que vous avez peut-être ratées.
Dans cet épisode : Pour l’amour de l’Art ou les dérives de la succession de Claude Berri, parrain de 7ème art français, décédé en 2009 ; Shein aux abonnés absents de la fiscalité, mais actif en matière de lobbying grâce à l’entregent de Christophe Castaner et du Cabinet Havas-Groupe Bolloré.
Étant donné l’importance accordée au dossier Shein dans l’actualité – et dans cette livraison – nous réduirons l’espace accordé aux sujets qui suivent : Albanie, contre la corruption, une ministre générée par l’intelligence artificielle ; Nouvelle-Zélande, les riches étrangers font sécession grâce aux passeports dorés ; quand l’Université de Caen huile les rouages de la finance jersiaise ; quand Transparency France honore un magistrat exemplaire .
Pour vous informer régulièrement, n’oubliez pas non plus le site de l’Observatoire de la Justice Fiscale d’Attac France, et nos contributions locales comme ces Éléments d’actualité fiscale, fruits de la vigilance médiatique de quelques militants de notre comité local.
Chacun des faits mentionnés ci-dessous a été choisi – parmi bien d’autres – comme illustration significative de pratiques que nous combattons. Ces éléments nous paraissent utiles pour nourrir les débats et mener nos combats pour la justice fiscale.
Rififi à Paname : Comment une affaire de succession éclaire les dérives du monde de l’art et de la finance offshore
Le Malotru a déjà eu l’occasion d’attirer l’attention sur les techniques d’évitement fiscal que procure le monde de l’art, notamment via l’hébergement discret d’œuvres de très haute valeur dans les « ports francs » - hors droits de douane - comme celui de Genève, régulièrement surnommé « le plus grand musée du monde ».
On parle ici d’une cache de trésors (œuvres d’art, des lingots d’or, des bouteilles de vin et même des voitures de luxe…) dont la valeur serait globalement estimée à une centaine de milliards d’euros. Les DrahiLeaks avaient révélé, par exemple, que environ un tiers de la collection de Patrick Drahi, estimée à 750 millions d’euros selon le média suisse HeidiNews, aurait été déposé dans des ports francs, principalement celui de Genève. En pervertissant le but originel de ces ports francs (une simple zone de transit), la plupart des utilisateurs y ont trouvé un instrument de dissimulation aux yeux des services fiscaux de leurs pays d’appartenance.
Ce système est régulièrement dénoncé. Le Groupe d'action financière (Gafi) affirmait déjà dans un rapport de 2010 que « les zones franches, y compris les ports francs, représentent une menace en ce qui concerne le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, en partie à cause de garanties inadéquates, d'une surveillance peu attentive et de contrôles insuffisants ». Certains progrès ont été réalisés à la suite des révélations des « SwissLeaks » en 2015, ou encore des « Panama Papers » en 2016. En janvier 2020, l’Union européenne a, par exemple, mis en place une Directive pour renforcer les règles sur l'identification des clients. Mais tout cela ne suffit pas, à l’évidence, comme l’indique l’affaire de la succession de Claude Berri, décédé en 2009, parfois qualifié de parrain de 7ème art français…
Les succès commerciaux de ses films aidant, Claude Berri a accumulé des peintures, des sculptures, des dessins, des photos, un véritable musée à soi. En 1989, il étaient assurés pour une valeur de 150 millions de francs, soit 40 millions d’euros d’aujourd’hui, un joli pactole. On sait maintenant grâce à l’enquête judiciaire, qu’il a été secrètement l’ayant droit d’une société offshore au Panama, Ennis, Inc., constituée en 1987 qui lui a permis de combler sa passion en achetant et en vendant à l’insu de tous des œuvres d’art dans le monde entier de manière compulsive.
L’article de Médiapart du 26/08/2025 - qui retrace l’affaire - précise que Claude Berri était également « titulaire d’un compte à la banque Rothschild à Zurich, en Suisse », et qu’il était aussi « en affaires avec la société aux îles Vierges britanniques d’un célèbre galeriste parisien et celle aux Bahamas d’un riche collectionneur vénitien »… On sait aussi que Claude Berri utilisait un vieux schéma délictueux, désormais classique, pour rapatrier quelques millions en cash en France, généralement en coupures de 200 euros ! « Une société genevoise baptisée Cofinor » précise Médiapart, avait mis au point « un système de mise à disposition d’argent liquide par compensation entre la France et la Suisse. Un système déjà apparu en marge des affaires Bettencourt et Dassault qui, d’après les policiers, a permis de « mettre fin aux traditionnels “porteurs de valises” », le cash étant directement livré à domicile » !
L’affaire, comme souvent, a éclaté lors de la succession, avec des dénonciations intra-familiales de spoliation, de dissimulation d’avoirs et, notamment, d’œuvres d’art au mépris des règles de répartition légales, de manière comparable à la fameuse affaire Wildenstein déjà évoquée par le Malotru il y a quelques années, dans laquelle était impliqué, entre autres, le Sons Trust à Guernesey…
Selon l’article, Darius Langmann, un des fils de Claude Berri, est poursuivi pour avoir détourné 69 œuvres de la succession de son père ; mais les enquêteurs parlent de plus de 400 œuvres ayant appartenu à Claude Berri de son vivant et s’étant évaporées au moment de la succession. Le célèbre expert Marc Blondeau – il a travaillé pour le milliardaire François Pinault – est également poursuivi pour avoir réalisé des inventaires « officieux » qui ont permis la dissimulation présumée des œuvres dans le cadre de l’héritage. Bref, du rififi à Paname…
Pour y voir plus clair, certains ont suggéré de faire appel à Claude Guéant dont les compétences en matière de transaction d’œuvre d’art (flamand, en particulier) ont été mises en lumière lors d’un procès récent.
► Affaire de la succession de Claude Berri : les derniers secrets d’une fortune cachée. Publié pas Mediapart le 26/08/2025. (Pour abonnés)
À lire aussi
► L’art est un paradis fiscal et Bercy ne voit rien : ce que révèle l’affaire Berri . Publié pas Mediapart le 29/01/2023. (Pour abonnés)
► Les tableaux de Drahi sont magiques: ils sont à la fois offshore aux Caraïbes et sur ses murs en Suisse. Publié par Heidi.News, le 09/11/2022. (Pour abonnés)
► #DrahiLeaks : Les ports francs, ces hangars sécurisés où les milliardaires cachent leurs tableaux. Publié par Blast, le 12/04/2023.
► À Genève, le port franc recèle encore des secrets fiscaux. Publié par Mediapart, le 09/07/2025.
Ombres chinoises (1) : L’entreprise Shein prospère en France mais reste aux numéros absents fiscalement...
De mauvaises langues ont suggéré que Christophe Castaner, ainsi que d’autres personnalités venues du monde politique, ayant été jusqu’à récemment "conseillers" de Shein, le fisc français aurait « regardé ailleurs » ( Voir ci-dessous, Ombres chinoises - 2 ) .
L’explication est peu probable, mais il semble bien que les autorités françaises ont tardé à jeter un projecteur sur le statut et les stratégies économiques du géant chinois. C’est ce qu’analyse avec force détails Maxime Renahy dans un blog de Mediapart publié initialement sur le site lanceuralerte.org. En quelques mots, il décrit ainsi la situation du premier vendeur de mode en ligne en France :
« Shein écoule chaque année pour plus d’un milliard et demi d’euros de vêtements en France. Les factures sont émises depuis Dublin, par la société Infinite Styles Ecommerce, et les flux financiers redirigés vers Singapour puis vers les Îles Caïmans. Pourtant, sur le plan fiscal, cette activité n’est rattachée à aucune base imposable significative en France. »
On apprend qu’au sens strict Shein, ne possédant pas de siège social ni le statut d’établissement stable (au sens des articles 5 du Modèle OCDE ), n’existe pas en France, sauf sous la forme d’un modeste « bureau de communication ». Son activité est pourtant gigantesque : Premier acteur de la mode en ligne en France en volume d’achats, l’entreprise chinoise profite des infrastructures du pays pour la commercialisation et la distribution du milliard et demi de vêtements vendus chaque année.
Maxime Renahy précise : « La Poste estime que les deux plateformes de e-commerce Shein et Temu représentent à elles seules 22 % des colis qu’elle traite en Europe, dépassant ainsi Amazon en volume de flux. Pourtant, sur le plan fiscal, cette activité n’est rattachée à aucune base imposable significative en France ». Et il donne des chiffres qui montrent l’important décalage entre activité réelle et déclaration fiscale : « En 2023, le chiffre d’affaires de Shein en France est estimé selon Reuters à 1,6 milliard d’euros. La filiale locale n’en déclare que 9,9 millions, pour un impôt sur les sociétés de 273 000 euros »…
On a là un champion des montages fiscaux bien connus sous le nom de « prix de transfert », à l’image de ces fameuses bananes de Jersey qu’Attac Pays de Saint-Malo/Jersey a popularisées avec le succès que l’on sait . En fragmentant artificiellement la chaîne de valeur via des redevances largement fictives et autres « réalités intangibles » (droits intellectuels, droit d’usage de la marque, etc.) vers des filiales-mères situées dans des paradis fiscaux, on réduit artificiellement la base imposable du pays d’arrivée, et le tour est joué...
Google, Amazon, Facebook etc. ont pourtant appris à leurs dépens que la Commission européenne avait montré les dents ces dernières années en infligeant des amendes notables pour des abus comparables. Et ce genre de montage, dissociant de manière objectivement artificielle activité commerciale et présence fiscale, a déjà conduit à des redressements significatifs en France. Comme le rappelle l’auteur du blog, « Depuis 2015, les travaux de l’OCDE sur l’érosion des bases fiscales (BEPS) ont établi un principe simple : les bénéfices doivent être imposés là où la valeur est effectivement créée ».
Un excellent article de Clarisse Dooh, publié le 3 juin 2025 sur le site de l’Observatoire des Multinationales avait déjà levé ce lièvre. L’ONG suisse Public Eye a également fait un formidable travail permettant de mettre en lumière la complexité délibérée des recours aux filiales émiettant la chaîne de valeur pour réduire la contribution fiscale. Qu’on en juge par le diagramme publié sur leur site.
On peut s’étonner avec ces journalistes d’investigation et ces lanceurs d’alerte qu’à ce jour aucune charge judiciaire ou enquête fiscale ne semblent engagées contre ce monstre commercial aux dents longues… À suivre ?
► Shein : partout en France, sauf chez le fisc. Publié sur Mediapart, le 04/09/2025.
►Qui se cache derrière Shein, le géant chinois de la « fast-fashion » ? Publié par l'Observatoire des multinationales, le 03/06/2025.
► La fulgurante percée de Shein qui dépasse déjà H&M, Primark et Kiabi en France dans le vêtement. Publié par BFM-Business, le 10/10/2024.
Ombres chinoises (2) : L’entreprise Shein et ses réseaux d’influence, où l’on retrouve Castaner, et... Bolloré.
Au sens strict, ce qui suit déborde le cadre de la simple analyse fiscale, mais la tolérance, pour ne pas dire la bienveillance, notamment fiscale, à l’égard de ce géant prédateur mérite qu’une lumière plus vive soit jetée sur ses pratiques et ses réseaux. Un éventuel appel au boycott des consommateurs par des consom’acteurs doit se nourrir d’informations précises et documentées…
À l’heure où l'on écrit ces lignes, on apprend que suite aux nombreuses critiques apparues contre Shein et à des actions entreprises par certaines O.N.G. contre cette multinationale chinoise et ses méthodes de production et de distribution à bas coût, la firme a décidé d’adopter une stratégie de notabilisation en ouvrant des magasins au sein de Grands Magasins parisiens ou situés dans des grandes métropoles de l’hexagone. Une première mondiale : Six boutiques sont prévues à partir de novembre 2025, en partenariat avec la Société des Grands Magasins (SGM).
Pour rappel, selon une étude menée par Les Amis de la Terre, l’entreprise émet près de 20 mille tonnes de CO2 chaque jour. Les vêtements sont essentiellement faits en polyester, issu du pétrole. Aujourd’hui, moins de 5% des vêtements Shein sont recyclables
Attaquée par des ONG pour non-respect des normes européennes en matière d'environnement, de droits sociaux et de sécurité du consommateur, mais aussi pour l’exploitation abusive d'une mesure européenne exemptant de droits de douane les petits colis, facilitant l'envoi de produits à moindre coût, la plate-forme chinoise a décidé de frapper fort.
Shein n’a pas lésiné sur les moyens. La transnationale d’origine chinoise a approché des cabinets de lobbying, a débauché Nicole Guedj, l'ancienne secrétaire d’État de Jean-Pierre Raffarin, et un ancien haut représentant du Medef, Bernard Spitz, ex-président de la Fédération de l’Assurance, ainsi que des « influenceuses » comme Magali Berdah. Au niveau européen, Shein s’est assuré les services de l’ancien commissaire européen allemand Günther Oettinger. Mais, en France, l’ancien ministre Christophe Castaner représente la plus belle prise de guerre pour accompagner, notamment, la campagne de communication grand public signée Havas.
On ne peut pas vraiment dire que la fonction de Maire de Forcalquier ou de ministre de l’Intérieur d’un gouvernement d’Emmanuel Macron ait préparé Christophe Castaner à une reconversion professionnelle dans le domaine de la fast-fashion. Et, pourtant, il a été officiellement nommé en décembre 2024 au tout nouveau comité du géant chinois de Shein dédié à la R.S.E. (ou « responsabilité sociale des entreprises »). Christophe Castaner a parlé de son intention de faire changer le système « de l’intérieur ».
On a appris aussi qu’il n’est pas employé, au sens juridique, de Shein, mais qu’il assure une prestation via Villanelle Conseil, la société de conseil qu’il a créée après son départ de la vie politique. Ce choix avait été alors approuvé sous réserves, par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). L’homme a tenu à faire savoir qu’il n’avait pas été recruté par Shein pour faire du lobbying. On a le droit de sourire…
Aucune coïncidence avec le fait que le Parlement préparait alors une loi - portée par la député Horizons Anne-Cécile Violland - sur l’impact environnemental de l’industrie textile, véritable menace pour la croissance exponentielle des ventes de Shein en France (chiffre d’affaires en France : 1,64 milliards d’euros en 2023 selon l’agence Reuters). Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en mars 2024, la loi prévoyait l’instauration d’un système de bonus-malus pour les produits textiles basé sur l’affichage environnemental, ainsi que l’interdiction de la publicité pour la « fast-fashion ».
On a alors entendu C. Castaner monter au créneau pour défendre Shein : « C'est une entreprise jeune qui ne connaît pas forcément tous les standards et qui a décidé de s'adapter au standard français et au standard européen ». Il poursuivait, fustigeant avec sa faconde habituelle l’idée d’une taxe anti-fast fashion : " On est en train d'inventer une TVA sur les produits des plus pauvres. Moi, je trouve ça assez dégueulasse, c'est vraiment un réflexe de feignant de considérer que, quand il y a un problème, il faut faire une taxe ". Ce à quoi le journaliste et militant écologiste Hugo Clément répliquait: " Ce qui est 'assez dégueulasse' et déshonorant, c’est qu’un ancien ministre d’État trahisse son pays pour servir les intérêts d’un géant chinois qui ne respecte aucune de nos règles et qui détruit nos industriels français et européens "…
Shein a décidé de solliciter les députés et les sénateurs individuellement, de manière régulière et « documentée », pratiquant un lobbying de haute intensité, notamment via une vaste campagne de communication XXL conçue par Havas (groupe Bolloré) - tiens, tiens - depuis le début du mois de mai. Shein y est alors « blanchie », présentée comme une entreprise vertueuse, au service – argument suprême – des consommateurs modestes, avec ce slogan : « Pourquoi la mode devrait être un luxe ? ». Comme des éléments de langage repris littéralement des propos de Christophe Castaner…
On sait qu’ensuite, lors des travaux en commission, de nombreux passage du texte de la députée Anne-Cécile Violland, ont été supprimés ou revus à la baisse. Les aléas politiques de ces derniers mois ont retardé l’adoption définitive de la loi, la commission mixte paritaire (CMP) devant se tenir cet automne pour finaliser le texte.
De son côté l’Observatoire des Multinationales précise que la société Villanelle Conseil, créée par Christophe Castaner, déclare bien des activités de lobbying en 2024, mais pour le compte d’autres clients que Shein, et sans dévoiler aucun chiffre sur ses moyens financiers comme elle est censée le faire.
Enfin, au lendemain de son coup d’éclat récent annonçant l’ouverture de magasins en France, Shein faisait l’objet d’un article du Monde résumant la situation actuelle et citant les réactions des industriels et des distributeurs du secteur. Dans sa conclusion, la journaliste, Isabelle Chaperon, écrivait :
« Shein poursuit sa quête de légitimité alors que les parlementaires tentent d’entraver le développement de la mode ultra-éphémère en France à travers une proposition de loi adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, en mars 2024, puis au Sénat, en juin. Mercredi (le 1er septembre), la Commission européenne a demandé à la France de retailler son texte pour le mettre en conformité avec les traités européens. Mais chacun le sait, le diable se faufile entre les mailles des détails ». On ne saurait mieux dire.
► L’arrivée de Shein dans les centres-villes français relance le débat sur l’impact social et environnemental de la fast-fashion venue d’Asie. Publié par Le Monde, le 01/10/2025.
► « L’engagement de Shein à “revitaliser les centres-villes partout en France” a été fraîchement accueilli ». Publié par Le Monde, le 02/10/2025.
► Shein : l’intense lobbying du géant de la mode express. Podcast et article publié par Radio France, le 07/05/2025. (37 min)
► "Exploitation organisée" : Shein pointé du doigt pour les conditions de travail chez ses sous-traitants informels. Podcast et article publié par Radio France, le 31/07/2025. (1 min 49)
Albanie, contre la corruption, une ministre générée par l’intelligence artificielle
Un(e) ministre tout en algorithmes ? Non, ce n’est pas une blague, et l’info a fait les choux gras de nombreux médias. Ouest-France s’est même fendu d’un bel article sur le sujet.
L’Albanie, plutôt mise à l’index pour la politique autoritaire du Premier ministre Edi Rama trouvé là l’occasion de s’exhiber comme futur pays champion de la probité, rien de moins. Pour un pays qui blanchit l’argent de toutes sortes de trafics depuis des années, la nouvelle en a surpris plus d’un.
Après douze ans au pouvoir et vainqueur d’élections (douteuses) le confirmant pour un quatrième mandat en mai dernier, voilà un Premier Ministre « sorti d’affaires », si on peut dire, après les multiples scandales ayant entaché l’image de son Parti Socialiste. Provisoirement, en tout cas, vu les promesses mirifiques associées à sa « ministre », dénommée Diella, une créature générée par intelligence artificielle (IA)…
Près de trois millions d’Albanais sont supposés avoir déjà eu recours à ses services pour des démarches administratives officiellement couronnées de succès (état civil, etc.). Mais, dans ce petit pays qui, selon Transparency International, figure au 80e rang de l’indice de la corruption, cette nouvelle « ministre » serait surtout à même de sélectionner les meilleurs appels d’offres de manière automatisée et – fait essentiel – sans se laisser séduire par des pots-de-vin. L’usage de « chaque denier public sera parfaitement transparent », assure Edi Rama qui, par ailleurs, espère garder son poste « jusqu’en 2050 ». Le portefeuille de la Ministre Diella, semble t-il, n’a pas vocation à se saisir du trucage des élections. Tout va bien.
► L’Albanie se dote d’une ministre virtuelle pour lutter contre la corruption. Publié par Ouest-France, le 15/09/2025.
► Un réseau albanais soupçonné d’importer des dizaines de kilos d’héroïne à Rennes et Saint-Malo. Publié par Ouest-France, le 29/01/2024. (Pour Abonnés)
Dans la série « visas dorés », une nouvelle arrivée: La Nouvelle-Zélande
La plupart des médias français ont négligé cette information, y compris Le Monde ou les journaux spécialisés dans la finance ou l’économie. Elle nous paraît cependant significative, notamment sous l’angle du séparatisme des ultra-riches. Qu’on en juge :
Alors que, sous pression de l’OCDE et de l’U.E., de nombreux pays (Espagne, Portugal, etc.) ont rétropédalé et annulé - ou réduit - les conditions d’accès à ces passeports dorés ou ces « golden visas » que nous avons évoqués maintes fois ici, la Nouvelle Zélande déroule le tapis rouge pour de nouveaux candidats.
Objectif : Des investissements de plus de 600 millions de dollars néo-zélandais (NZD) dans l’espoir de relancer le pays, frappé par une grave récession en 2024.
La méthode : Des simplifications administratives, temps de séjour réduit à… 21 jours pour obtenir le permis de résidence (contre 3 ans auparavant), seuil d'investissement requis de 5 millions de NZD (environ 2,9 millions de dollars dans la formule précédente qui n’a pas atteint les objectifs promis), fin des exigences relatives à la maîtrise de l'anglais.
Une opportunité géopolitique historique : La réduction de la « concurrence » en matière d’attractivité fiscale du fait des restrictions sur le visa doré d'autres pays (Espagne, Portugal…), voire la fin programmée du principe même dans d’autres pays de l’U.E. (le Royaume-Uni, l'Irlande etc.) . Et, surtout, motivation clairement avouée par l'ancien ministre de l'Immigration Stuart Nash, le caractère imprévisible de la politique de Trump, notamment en matière économique, qui plongerait certains investisseurs privés ou des entreprises dans l'incertitude. Face aux menaces venues de Russie, également, la Nouvelle Zélande - en zone dénucléarisée depuis 1987- est perçue aujourd’hui comme un un havre de paix par de très riches étrangers en quête de « pays sûrs ».
Les premiers résultats semblent montrer un fort intérêt de la part de citoyens états-uniens, chinois, et ultra-riches venus de Hong Kong. Parmi les heureux élus, on note le pionnier américain des fonds spéculatifs Julian Robertson, le géant russe de l’acier Alexander Abramov ou encore le réalisateur d’origine canadienne James Cameron. En attendant de rejoindre la planète Mars dans un starship d’Elon Musk pour la coloniser, voilà une étape à inscrire d’urgence sur nos tablettes…
► La Nouvelle-Zélande déroule le tapis rouge pour les bénéficiaires de visas dorés. Publié par Courrier International, le 05/09/2025.
► Nouvelle-Zélande : un nouveau paradis pour les grandes fortunes ? Publié par expat.com, le 29/05/2025.
► New Zealand's new golden visa draws rush from US, China after rule change. Publié par Business Standard, le 22/05/2025.
Trois cents avocats d’affaires à Guernesey, cinq cents environ à Jersey, et passage obligé par Caen…
Les lectrices et lecteurs du Malotru ne seront pas surpris de lire que nos chères îles anglo-normandes ne sont pas que des destinations touristiques mais bel et bien des hauts lieux de la finance internationale. Derrière les plaques de cuivre gravées de noms sophistiqués se cachent encore et toujours des cabinets d’affaires aux turpitudes bien dissimulées, rouages essentiels de la mondialisation financière. Et pour huiler ces rouages on trouve du beau monde, 800 avocats au bas mot, rien que pour les barreaux de Jersey et Guernesey, apprend t-on au détour d’un article à la tonalité plus délibérément exotique que critique paru dans notre quotidien régional le 19 septembre 2025.
La plupart de nos concitoyens et concitoyennes ignorent que bon nombre de ces avocats ne peuvent exercer tout ou une partie de leur métier qu’en fréquentant un enseignement très spécialisé, uniquement dispensé non pas au Royaume-Uni mais en France, à l’ Université de Caen.
Ouest-France, reprenant sans doute la formulation de l’Université présente cet enseignement comme marginalement destiné à ces professionnels. Il est surtout décrit comme ouvert « aux professionnels du tourisme et du patrimoine ainsi qu’aux enseignants du secondaire soucieux d’offrir à leurs apprenants une initiation à la découverte des parlers normands. Cette offre concerne également les professions juridiques, ainsi qu’à toute personne intéressée par la culture et le patrimoine de la Normandie ».
Ainsi, l'article restera très pudique sur le rôle de ce « certificat d’études juridiques normandes » facilitateur, en dernière instance, de pratiques juridiques et fiscales bien particulières qui, aux yeux de nombreux observateurs et praticiens du droit, ne font que confirmer l'usage "pervers" du droit coutumier normand à des fins d’opacification, de facilitation d'évitement fiscal ou d'évasion fiscale par ces fameux cabinets.
Et pourtant, le chiffre – effarant par rapport à la faible population - « trois cents avocats à Guernesey, cinq cents environ à Jersey » - conduit à cette explication au ton primesautier : « Les barreaux des deux îles anglo-normands sont bien fournis. L’explication est à chercher dans l’activité économique de ces petits bouts de terre au milieu de la Manche. Leur statut fiscal en est à l’origine… ».
Leur « statut fiscal », vous n’en saurez pas plus. Tout juste apprendra t-on que « d’un point de vue professionnel, sur les affaires de finances, de succession, nous devons être au point sur la coutume normande. ».
Circulez, il n’y a rien à voir… Pudique, Ouest-France n'osera jamais employer le terme de « paradis fiscal » ou de « trou noir de la finance internationale ». En lieu et place on offrira aux lectrices et aux lecteurs un plaisant aperçu historique sur l’attachement des citoyens des îles anglo-normandes aux souverains d’Angleterre, parce que ces derniers sont des descendants des ducs de Normandie. Et un hommage à « ces Normands, issus des peuples vikings, qui ont su s’adapter aux règles carolingiennes, pacifier des régions entières en Normandie et en Angleterre et surtout mettre en place une organisation juridique et politique très puissante. ». Ouf, le tabou n’aura pas été levé cette fois encore. Passons à autre chose, la Tapisserie de Bayeux, par exemple ; ça vous dit ?
► Un héritage du Xe siècle : l’université de Caen enseigne le droit normand aux avocats de Guernesey. Publié par Ouest-France, le 19/09/2025. (Pour abonnés)
Quand Transparency France honore un magistrat exemplaire
Le 12 septembre, une brève de Transparency International (T.I.), trop peu reprise par les médias mainstream, signalait la création d’un nouveau prix « littéraire » visant à mettre en valeur des auteurs et des ouvrages s’attaquant à la corruption « entendue dans une acception large comme le détournement d’un pouvoir donné en délégation à des fins privées ou particulières » selon les termes de T.I. Si on en juge par la première sélection - une dizaine de livres - on peut parier que le jury (composé de personnalités qualifiées et de membres de Transparency International France) n’aura pas la tâche facile.
Parmi nos favoris, on retiendra le trio suivant : « Sauver l’information de l’emprise des milliardaires » de Olivier Legrain et de Vincent Edin (éd. Payot), « Un pouvoir malhonnête – La corruption publique en France » de Frédéric Monier (éd. Champ Vallon), « Les nouveaux oligarques » de Thomas Snégaroff et Philippe Corbé (éd. Les Arènes). Le jury fera connaître son choix définitif le samedi 6 décembre, date de la remise du Prix à l’occasion du Festival du film anti-corruption.
En hommage à l’engagement indéfectible de ce magistrat, figure centrale des grandes affaires politico-financières, décédé le 10 mai 2024 à Rennes, Transparency France, a décidé de nommer ce prix « Prix Van Ruymbeke ».
Tous les lecteurs et toutes les lectrices du Malotru ne peuvent que saluer cette initiative. Beaucoup se souviendront de la soirée du 20 Avril 2023 à l’Espace Bouvet quand Renaud van Ruymbeke, venu nous présenter son enquête intitulée OFFSHORE – dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux (éd. Les Liens qui Libèrent), avait fait salle comble.
Quelques jours après Renaud Van Ruymbeke adressait ce message à notre comité local Attac : « Je conserve un excellent souvenir de cette belle soirée, avec un public aussi nombreux et intéressé sur ces questions citoyennes. Avec toute ma considération pour vos engagements, RVR ».
► Lancement du prix Van Ruymbeke. Communiqué de Transparency International France, publié le 12/09/2025.

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