Eléments d'actualité fiscale - Avril, Mai 2025

Un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir certaines informations que vous avez peut-être ratées.

Dans cet épisode : Nouvelles révélations sur l’accueil par Dubaï de fraudeurs fiscaux français ; Elon Musk et ses arrangements fiscaux avec l’administration néerlandaise ; l’impact concret des politiques fiscales des Pays-Bas sur un pays africain, le Nigeria ; Biens Mal Acquis du Clan Bongo : Procès en vue ; Affaires Perenco : Quand des ONG débusquent des charognards du pétrole. Et l’étrange silence de Mme Pannier-Runacher sur la fortune cachée de ses chers petits…

Pour vous informer régulièrement, n’oubliez pas non plus le site de l’Observatoire de la Justice Fiscale d’Attac France, et nos contributions locales comme ces Éléments d’actualité fiscale, fruits de la vigilance médiatique de quelques militants de notre comité local.

Chacun des faits mentionnés ci-dessous a été choisi – parmi bien d’autres – comme illustration significative de pratiques que nous combattons. Ces éléments nous paraissent utiles pour nourrir les débats et mener nos combats pour la justice fiscale.

DUBAÏ, eldorado douteux, ça commence à bien faire !

Dubaï ne semble guère quitter nos tablettes d’actualité fiscale, les révélations se succèdent et confirment qu’en deux décennies, Dubaï, devenu le meilleur filon mondial de l’investissement immobilier, souvent à partir de fonds dont l’origine est douteuse, se targue d’avoir obtenu environ 190 milliards d’euros de transactions immobilières en 2024...

L’exploitation par Le Monde de données immobilières inédites « révèle des cas de fraude fiscale, de blanchiment d’argent issu du narcotrafic ou questionne, à tout le moins, l’origine des fonds investis par des ressortissants français. »

Les Dubaï papers, (révélés en France par La cellule investigation de Radio France, en partenariat avec L’Obs, France 3 et le groupe de médias suisse Tamedia), en 2019, avaient alerté sur l’importance croissante de la fraude fiscale française et internationale en lien avec Dubaï, et sur l’adaptation habile des acteurs aux nouvelles lois françaises et aux règles internationales.

L’article publié le 4 avril 2025 par Le Monde indique, chiffres à l’appui, que, malgré les belles paroles sur la coopération judiciaire entre nos deux pays (et la nomination d’un magistrat de liaison français dans la fédération émiratie), la cécité des autorités émiraties sur la provenance des fonds investis dans l’immobilier se poursuit bel et bien, précisant : « Nombreuses sont les opérations réalisées en argent liquide ou même en cryptomonnaie – deux importants vecteurs du blanchiment d’argent – qui ont contaminé le secteur immobilier », et citant une source judiciaire qui confirme « la facilité avec laquelle il est possible de transférer de l’argent vers Dubaï sans même passer par des banques ». Les flux financiers d’origine française s’inscrivent largement dans ce méga-biotope financier.

Nous avions fait connaître en novembre 2024 les informations provenant de l’investigation collaborative « Dubai Unlocked » : Comment des trafiquants de stupéfiants marseillais avaient pu bénéficier du peu connu – hors « initié »- ticket d’entrée de 500 000 euros d’investissement pour bénéficier d’un permis de résidence de dix ans, valable également pour leurs famille. Outre le blanchiment du narcotrafic à travers l’acquisition de dizaines d’appartements haut-de-gamme dans un quartier huppé de Dubaï, ce permis de résidence leur avait permis de se mettre à l’abri de la justice française (voir source ci-dessous).

L’enquête du Monde d’avril 2025 a permis d’identifier environ 3 000 propriétaires français dont quelques-uns possèdent au moins quinze appartements et villas. Sans vraie surprise, l’article précise, citant une source judiciaire, que « de nombreux propriétaires français découverts dans nos documents sont des chefs d’entreprise évoluant dans des secteurs variés : taxis, restauration rapide, sécurité privée, etc. Les patrons qui génèrent de l’argent en liquide dans le cadre de leur activité peuvent très facilement faire de l’évasion fiscale à Dubaï, Cela leur assure un investissement très rentable, à l’abri des autorités françaises. »

Bref, business as usual… Et toujours aussi peu d’entraide judiciaire, toujours aussi peu de comparutions et de condamnations. Les Émirats ont été sortis de la liste grise du GAFI en 2024 et s'en sont félicité à grand renfort de publicité. De mauvais esprits insinueront qu’ils sont le premier pays étranger acheteur du Rafale, et, à ce jour, le seul acheteur du char Leclerc. On aurait tort, sans doute, d’être mesquin avec de tels clients.

Dubaï papers : ces Français qui ont toujours un compte à l'étranger. Podcast de France inter, publié le 10/04/2019. (3min).
À Dubaï, les petites affaires douteuses de propriétaires fonciers français. Publié par Le Monde, le 04/04/2025.
Eléments d'actualité fiscale - Octobre, Novembre 2024. Publié sur Le Malotru, le 23/12/2024.
Des tours de Marseille aux gratte-ciel de Dubai sur la piste de l'argent de la drogue des quartiers nord. Publié par Le Monde, le 04/11/2024.

LES PAYS-BAS, cachette méconnue des profits d’Elon Musk grâce à des politiques fiscales douteuses !

En 2013, avec le soutien des pouvoirs publics néerlandais, Tesla annonçait l’installation de son quartier général européen à Amsterdam et, en 2015, d’une usine d’assemblage à Tilburg, dans le sud du pays. Elon Musk a très probablement su profiter des largesses du gouvernement et de l’administration des Pays-Bas grâce à un tax ruling, c’est-à-dire un rescrit fiscal probablement conclu en 2013. On en sait un peu plus aujourd’hui sur ces accords secrets entre Musk et les Pays-Bas, depuis longtemps déjà appréciés des multinationales comme Nike, Ikea, Uber ou Shell.

En 2017, les « Paradise Papers » (voir sources ci-dessous) avaient révélé l’ampleur du phénomène ; on peut penser que les révélations sur Tesla vont relancer les polémiques sur les pratiques du pays.

En effet, selon le site d’investigation indépendant néerlandais « Follow the Money », Tesla Motors Netherlands (T.M.N.) ne paie que très peu d’impôts aux Pays-Bas, alors qu’elle y a réalisé un chiffre d’affaires de 26 milliards d’euros en 2023. Le tour de passe-passe s’explique par la structure complexe qu’elle a mise en place et des accords qui reposent des questions sur les pratiques des autorités de La Haye à l’égard des grandes sociétés étrangères.

À travers l’enquête du consortium journalistique qui a scruté les comptes annuels américains et européens, notamment néerlandais et allemands, de la multinationale et de ses filiales, « la principale d’entre elles, Tesla Motors Netherlands (TMN), ne paie que très peu d’impôts aux Pays-Bas, alors qu’elle y a réalisé un chiffre d’affaires de 26 milliards d’euros en 2023, soit près du tiers de celui de Tesla au niveau mondial (quelque 97 milliards de dollars, soit 85 milliards d’euros). »

On sait également que Tesla Inc. n’avait pas payé d’impôt fédéral sur des revenus de 2,3 milliards de dollars en 2024 aux U.S.A., la compagnie d’Elon Musk était – artificiellement - déficitaire depuis sa création, en 2003, jusqu’en 2020. Un type de « ruse » comparable a été utilisé au sein de l’U.E. : « Beaucoup des modèles censés être produits par l’entité néerlandaise sont en fait réalisés par la gigafactory de Grünheide ( en Allemagne) », affirme l’enquête. Et résultat comparable : TMBS, l’usine allemande, a acquitté, en 2023, un impôt de 26,2 millions d’euros seulement, sur un chiffre d’affaires de près de…8 milliards.

Des experts, en réponse aux enquêteurs de Follow the Money confirment que tout cela s’explique par les déductions rendues possibles par les « accords de production », et, un « classique » des multinationales, par les dispositions pour l’usage des fameux « droits de la propriété intellectuelle » entre filiales…

Musk, le donneur de leçons, a bien appris de ses maîtres, les Apple, Nike, Mc Do, Disney, etc. tous ces grands champions impunis de l’évasion et de l’évitement fiscal… Follow the Money a eu beaucoup de mal à identifier la valse des sièges sociaux de Tesla : « Jusqu’en décembre 2023, six des sept filiales néerlandaises enregistrées étaient chapeautées par Tesla Motors Coöperatief UA, laquelle devint Tesla Motors Holding BV, avant que les actions soient transférées, en décembre 2024, à Tesla Motors Stichting, une fondation. Puis, quelques jours plus tard, à VESPB Global GmbH, installée à Zoug, en Suisse, où la publication de comptes annuels n’est pas obligatoire. VESPB Holdings NL, fondée en 2022, reste, elle, établie aux Pays-Bas, mais ses actions sont détenues dans l’État américain du Delaware. »

Nombreux sont les observateurs, y compris libéraux, qui assurent qu’il serait temps, pour la crédibilité même de l'UE, que cesse cette concurrence fiscale entre états-membres. Certain(e)s assurent même que l'Union Européenne n'a d'union que le nom. Les Pays-Bas qui prétendent donner des leçons de gestion économique aux pays du Sud et de morale à tous, se comportent ici comme des voleurs et complices de voleurs. Que tout cela soit « légal » n'ôte rien au délit vis à vis du peuple européen.

Coluche disait :" et dire qu'il suffirait qu'on n'en achète plus , pour qu'on en vende pas… " Aux dernières nouvelles, comme dans d’autres États européens, les ventes de Tesla sont en chute libre aux Pays-Bas : − 50 % de moins au premier trimestre 2025, avec 3 443 voitures vendues. Maigre consolation pour les opposants à celui que certains de nos meilleurs esprits libéraux érigeaient, il y a peu, en modèle de génie technique et gouvernemental.

En Europe, Tesla bénéficie des largesses de la législation néerlandaise pour limiter très fortement son impôt. Publié par Le Monde, le 13/04/2025.
► Pour rappel, « Paradise Papers » : les montages fiscaux agressifs de Nike pour éviter l’impôt en Europe. Publié par Le Monde, le 06/11/2017.

LES PAYS-BAS et l’impact concret de leur politique fiscale sur le Nigeria, un cas d’école terrifiant

Tax Justice Network, l’association crée par John Christensen, un vieil ami de notre comité local, poursuit inlassablement son travail d’élucidation et de partage des informations concernant les obstacles érigés par les transnationales et les ultra-riches à une justice fiscale équitable. Dans une de ses dernières livraisons, elle rend compte du travail accompli par des chercheurs, des économistes, des miltants du Droit de l’enfant au sein de l’Université Saint Andrews en coopération avec l’Université de Leicester ainsi que The African Centre for Tax and Economic Studies.

Ces derniers ont cherché à déterminer l’impact des transferts de profit de certaines transnationales opérant dans des pays du Sud au détriment de leurs trésoreries nationales. Et, à partir d’un cas précis étudié dans toutes ses dimensions, le Nigéria, ils partagent leurs conclusions, effarantes.

Le monde dans son ensemble perd chaque année près de 500 milliards d’euros du fait de l’évasion fiscale des transnationales et des ultra-riches. En termes absolus, vu le poids de leurs économies ce sont naturellement les pays riches qui perdent le plus, mais ce sont bien les pays les plus pauvres qui perdent le plus en proportion de leurs budgets dont leurs populations dépendent de manière critique en termes de besoins essentiels, de services publics, d’infrastructures routières, d’hôpitaux, d’écoles, etc. Or chaque année près de 40 % des profits des transnationales sont transférés de manière abusive vers des pays du nord, les principales destinations étant toujours et encore la Suisse, l’Irlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, avec ses territoires d’Outre-Mer et ses dépendances de la Couronne comme Jersey…

Le secret entourant bon nombre de ses transferts rend les estimations difficiles mais les travaux menés par Thomas Tørsløv, Ludvig Wier and Gabriel Zucman permettent aujourd’hui une grande fiabilité des données collectées et accessibles aux chercheurs et aux citoyens.

La Commission des Nations-Unies pour les Droits de l’Enfant a spécifiquement ciblé les Pays-Bas et l’Irlande pour les effets délétères de leurs politiques fiscales transfrontalières. Elle a demandé aux Pays-Bas de « veiller à mener des études indépendantes pour se faire une idée précise des politiques fiscales et des abus fiscaux qu’ils rendent possibles, ainsi que leur impact sur les ressources permettant aux états d’origine d’assurer les politiques destinées au bien-être des enfants des pays dans lesquels leurs entreprises opèrent ».

Les conclusions des études indépendantes menées par les chercheurs indiqués précédemment se traduisent par des indications concrètes, par exemple combien d’enfants vivent -ou meurent- combien de gens, en plus ou en moins, accèdent à des ressources en eau potable, combien d’enfants achèvent des parcours scolaires du primaire et du secondaire, selon la hauteur des sommes abusivement prélevées au titre des transferts abusifs de profits vers les pays cités précédemment. Dans le cas du Nigéria, particulièrement lésé par les pratiques fiscales des Pays-Bas, on observe ceci :

Si le gouvernement nigérian obtenait les revenus fiscaux qui, du fait de ces politiques, ne lui reviennent pas, 500 000 nigérians de plus auraient accès à une eau potable, 800 000 nigérians de plus auraient accès à des sanitaires, 150 000 enfants de plus pourraient fréquenter une école au quotidien, etc.

Derrière ces chiffres se cache la réalité des profits, pétroliers en particulier, transférés en grande partie vers les Pays-Bas. Malgré sa richesse potentielle, premier producteur d’Afrique (1,5 million de barils par jour), le Nigeria vit une véritable fuite des cerveaux. Le Nigeria forme chaque année environ 7 000 médecins, mais beaucoup émigrent avant d’avoir exercé longtemps dans le pays, ce qui entraîne une perte d’investissement. Des conditions de travail difficiles, de faibles salaires, et un manque d’investissements dans le secteur pharmaceutique et hospitalier engendrent une émigration massive des personnels médicaux, attirés par les salaires du Royaume-Uni ( qui, avec son visa Global Talent opère également une saignée au sein des start-ups locales). Le pays ne dispose que de 1,83 professionnel de santé pour 1000 habitants, un chiffre bien inférieur au seuil minimum de 4,5 recommandé par l’O.M.S. On comptait 1,4 million de migrants pour la seule année 2024…

On sait que c’est le système fiscal mondial qui doit être urgemment repensé. Jusqu’à présent les pays de l’OCDE ont mené la danse dans leur intérêt dans le sillage de politiques clairement coloniales ou néo-coloniales à la suite de la seconde guerre mondiale et des compromissions des « indépendances » des pays du sud. Depuis quelques années un large mouvement s’est enclenché au sein des Nations-Unies pour tenter d’y remédier à travers des négociations serrées, en cours, visant à créer une Convention-cadre sur la Coopération Fiscale. Cette convention vise à éliminer les paradis fiscaux, créer une base commune et équitable contraignant les transnationales à payer leur juste part, et à créer un organisme vraiment inclusif et globalisé assurant, sous l’égide des Nations-Unies, la légalité des échanges transfrontaliers.

Certes les oppositions freinent des quatre fers, celle des Pays-Bas notamment, certes l’élection de Trump II ne constitue pas le moindre obstacle en chemin, mais les choses avancent. À ce stade, la majorité des pays-membres de l’O.N.U. ont voté en faveur des « termes de références » de la Convention. Une version finalisée de la convention fiscale à l’échelle mondiale pourrait être adoptée en 2027 par les 193 états-membres, ouvrant la perspective des signatures et de la ratification…

The state of tax justice 2024. Publié par Tax Justice Network, le 19/11/2024.
Close to 40% of multinational profits are shifted to tax havens each year. Initialement publié  dans Review of Economic Studies, 90:3, 2023.
Do it like a tax haven: deny 24,000 children an education to send 2 to school. Publié par Tax Justice Network, le 25/03/2025.
UN tax convention. Publié sur le site de Tax Justice Network. (En anglais).
Au Nigéria, les start-up décimées par la fuite des cerveaux. Publié par Le Monde, le 28/05/2025.

FRANCE - "Biens mal acquis" : L'enquête sur les avoirs gabonais en France est terminée

Cela fait quinze ans que cette affaire se poursuit, et le Malotru a eu l’occasion de rendre compte de quelques épisodes notables. Au centre du contentieux se trouve un important patrimoine immobilier « frauduleusement » acquis et évalué par la justice « à 85 millions d'euros ». À ce stade, 70 millions d'euros de biens ont été saisis, notamment des propriétés dans des coins huppés de Paris, en Provence ou sur la Côte d'Azur.

Cette "fortune immense" provient, selon l’arrêt de la Cour d'appel de Paris de février 2022, « de l'argent issu de détournements de fonds publics et des sommes considérables provenant du délit de corruption des sociétés pétrolières », notamment Elf Aquitaine, aujourd'hui TotalEnergies. On est là au cœur du système de la « Françafrique », mêlant corruption, cooptation politique et chasses gardées commerciales entre Paris et ses anciennes colonies. Chacun se souvient des révélations emblématiques produites par l'« affaire Elf » en France…

Plusieurs membres de la famille Bongo sont impliqués (on parle de onze descendants d'Omar Bongo), mais aussi la BNP Paribas, et l'ex-miss France Sonia Rolland (poursuivie pour recel de blanchiment de détournement de fonds publics, pour avoir reçu en 2003 un appartement parisien d'Edith Bongo, épouse d'Omar Bongo).

Dans le cas de la famille Bongo (qui a régné sur le Gabon pendant cinquante-cinq ans ), on se souvient qu’à peine élu en octobre 2009, Ali Bongo s’offrait 29 voitures de luxe. Rolls Royce, Mercedes Maybach, Bentley… via une société suisse (SDP) pour un montant d’environ 15 millions d’euros. Cet achat venait compléter un parc automobile de plusieurs centaines de fastueux véhicules appartenant à son père Omar Bongo.

Renversé en août 2023 par des militaires, le président Ali Bongo Ondimba a vu remis en cause son immunité de chef d'État et s’est trouvé menacé d'être à son tour poursuivi. Mais « Il n'est pas mis en examen à ce stade », a indiqué une source judiciaire à l'AFP.  La banque BNP Paribas qui avait pudiquement reconnu des « carences » a été mise en examen pour « au moins 35 millions d'euros » de blanchiment allégué. Vingt-quatre personnes ont été mises en examen. Le Parquet national financier doit désormais décider de l'éventuelle tenue d’un procès.

« Le clan Bongo va enfin être jugé, mais aussi des personnalités du monde des affaires, puisqu’elles ont servi de facilitateurs dans les détournements de fonds (…) Il va y avoir un procès, on peut l'espérer à l'horizon 2026 » a déclaré Me William Bourdon, avocat de l'association anti-corruption Transparency International, à l'origine de cette procédure via une plainte en mai 2007.

L'enquête sur les "biens mal acquis" gabonais en France est terminée. Publié par France 24, le 04/04/2025.
Le système Bongo, ses millions et l’affaire des biens mal acquis. Publié par France 24, le 01/09/2023.
Gabon : la justice française clôt l'enquête sur les « biens mal acquis » de la famille Bongo. Publié par Le Monde, le 08/04/2025.
►  Françafrique. Infos de France 24.

FRANCE - Affaires Perenco. Quand des ONG débusquent des charognards du pétrole. Et l’étrange silence de Mme Pannier-Runacher sur la fortune cachée de ses chers petits…

Détenue par la famille de son fondateur, Hubert Perrodo, mort en 2006, la compagnie franco-britannique Perenco est un pétrolier discret : non coté en Bourse, spécialisé dans les puits en fin de vie, implanté entre Paris, Londres et le paradis fiscal des Bahamas.

Un article du journal Le Monde de 2019  mentionne qu’en République Démocratique du Congo Perenco poursuit, malgré les polémiques, le développement de son activité, « à travers au moins quatre sociétés dirigées par des hauts responsables de la maison mère et aux capitaux en grande partie contrôlés par Perenco RDC SA établie aux Bahamas » . L’article précise que « l’une d’entre elles, Perenco REP a été condamnée, en 2008 par le tribunal de grande instance de Boma, ville portuaire du Kongo-Central, à indemniser une communauté victime de la destruction de sa forêt où la société pétrolière réalisait des travaux en vue d’extraire de l’or noir ». Il apparaît que cette décision judiciaire définitive n’a jamais été exécutée…

Perenco, présente en RDC depuis 2000, a peu à peu racheté au géant américain Chevron des champs pétroliers délaissés. Et, bizarrement, elle déclare la même production de 25 000 barils par jour depuis plusieurs années, ce qui fait douter de la véracité de ses chiffres… Un avocat congolais déclare sans ambages : « Son pouvoir économique [un chiffre d’affaires annuel estimé à 5 milliards de dollars par Challenges] lui permet de contrôler une partie de la classe politique, mais aussi une partie de la société civile de Muanda qui a bénéficié des largesses de l’entreprise contre le silence sur les dégâts environnementaux ».

La discrétion légendaire du groupe franco-britannique dans le paysage économique et financier français a été mise à mal par la révélation soudaine, le 20 mars 2024, de l’un des accidents les plus meurtriers de l’histoire récente de l’industrie pétrolière (six employés tués) ; accident dans lequel l’Environmental Investigation Agency (EIA), une organisation non gouvernementale d’enquête sur les enjeux environnementaux, a mis en évidence la responsabilité de Perenco. Le rapport de l’O.N.G. est explicite : « des équipements de sécurité essentiels qui auraient pu empêcher l’explosion faisaient défaut (…) l’explosion a également été causée par une culture de travail toxique et par la pression considérable que les cadres du groupe basé à Paris et Londres exercent sur les travailleurs afin que la production se maintienne à tout prix ».

À la tête de Perenco, on trouve les Perrodo, une famille très discrète que le magazine Challenges classe au quinzième rang des fortunes de France, avec un patrimoine évalué à 9,5 milliards de dollars. Perenco « pèse » un chiffre d’affaires d’environ 7 milliards d’euros en 2024, réalisé avec 8000 salariés dans 14 pays assurant une production quotidienne estimée à 500 000 barils.

Le fondateur de cet empire, Hubert Perrodo, est un Breton, né à Larmor-Baden, le 25 janvier 1944. Il a eu l’idée dans les années 1970 de racheter à bas prix aux géants du secteur des sites pétroliers en fin de vie pour continuer à les exploiter jusqu’à épuisement. Ce modèle low-cost permet notamment d’éviter les investissements massifs habituellement nécessaires. « Notre fondateur était un homme en avance sur son temps », proclame le site Internet du groupe Perenco, dont le blason affiche l’hermine bretonne ! Le long article que Le Monde du 21 mai consacre à cette saga ressemble au script de la série Dallas. C’est d’ailleurs après avoir rencontré les frères Hunt en 1967, deux Américains qui ont fait fortune dans le pétrole - et inspiré les personnages de Bobby et J. R. Ewing, les héros de cette série télévisée - que l’inspiration est venue à cet autodidacte de se lancer dans l’activité du fructueux forage pétrolier. L’amitié qui le liera ensuite à l’ancien garde des sceaux Albin Chalandon, président d’Elf Aquitaine de 1977 à 1983, le conduira à exploiter les vieux filons d’Elf, aidé par un ingénieur, Jean-Michel Runacher. Il s’agit du père de l’actuelle ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.

Jean-Michel Runacher est bien connu pour avoir été l’homme de confiance de Hubert Perrodo, il est celui, notamment, qui organisera la stratégie fiscale de Perrodo en établissant les sièges des entreprises dans des paradis fiscaux pour échapper à l’impôt. Dans la période faste de la Françafrique des années 80, Hubert Perrodo voit ses affaires prospérer au Gabon (il est alors un proche du président Omar Bongo), au Cameroun, au Congo, et même en Colombie… Se sentant « harcelé » par la curiosité du fisc français, il décide, à la fin des années 1990, de transférer sa société au Royaume-Uni – mais garde un siège à Paris. Mais alors en vacances à Courchevel (où la famille possèdent six appartements et chalets), Hubert Perrodo meurt d’un accident de ski fin 2006, à 62 ans. Un de ses fils, âgé de 29 ans, François Perrodo, devient alors président de Perenco. Il multiplie par cinq la production du groupe en vingt ans grâce à des investissements à travers le monde, toujours en rachetant des plateformes (au large du Brésil, en mer du Nord, etc.) et en confortant ses « bases » en Afrique.

Mais des O.N.G alertent l’opinion sur les pratiques sociales et environnementales délétères de Perenco. Des cas précis de pollution sont mises en lumière. En 2019, Sherpa et Les Amis de la Terre engagent une action en justice contre l’entreprise devant le tribunal judiciaire de Paris en raison des « préjudices écologiques » qu’elle causerait en RDC. Le groupe est également visé par deux enquêtes préliminaires du Parquet national financier pour ses activités au Congo (soupçons d’emplois fictifs, et soupçons de corruption impliquant des membres de la famille du président Denis Sassou Nguesso). Le siège français de l’entreprise, à Paris, fait l’objet d’une perquisition en mars 2023 par des policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales…

O.N.G comme services fiscaux se voient opposer une défense efficace : Perenco ne cesse de répéter que ses sociétés françaises et britanniques n’ont aucun contrôle sur les activités de ses filiales à l’étranger, se dégageant ainsi de toute responsabilité dans les pays où elle opère. « L’entreprise, qui se compose d’un réseau complexe de holdings interdépendantes souvent enregistrées aux Bahamas et autres paradis fiscaux, garde confidentiels les détails de son actionnariat et de sa structure organisationnelle », indique l’EIA dans son rapport. N’étant pas introduite en Bourse, Perenco maintient la confidentialité de sa structure de propriété. Le groupe admet seulement qu’elle est chapeautée par une société mère, Perenco International Limited », détenue par les enfants d’Hubert Perrodo.

Mais face à cette stratégie de défense, la justice et les O.N.G ne lâchent pas l’affaire.

L’affaire a donné l’occasion à certaines bouches de s’ouvrir. C’est ainsi qu’un ancien salarié, sous couvert d’anonymat, déclare que les personnels français (y compris ingénieurs) étaient payés au smic en France (pour avoir une couverture médicale) avec le reste dans un paradis fiscal (d’abord Luxembourg, puis l’Ile de Man), un classique de l’évitement fiscal toujours pratiqué selon des connaisseurs des transnationales… S’agit-il d’une des nombreuses « ruses » adoptées par Perenco et conseillées par Jean-Michel Runacher ? Nous le saurons peut-être un jour. En attendant, si Agnès Pannier-Runacher n'a pas d'actions Perenco, il est cocasse de savoir que ses propres enfants en ont, à hauteur de 1,2 million d’ euros, hérité de leur grand-père !

En novembre 2022, dans une enquête très embarassante du média Disclose on apprenait que les enfants de la ministre (8 et 11 ans lors de ces révélations ) étaient « associés » d’une société basée sur des fonds domiciliés dans des paradis fiscaux et transmise par Jean-Michel Runacher, leur grand-père…

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique dit avoir constaté « l’absence de manquement de Mme Pannier-Runacher à ses obligations déclaratives ». Dès lors, afin de prévenir tout conflit d’intérêts la ministre de la transition énergétique ne pourra pas s’occuper de sujets liés à trois sociétés, y compris l’entreprise pétrolière Perenco, dont son père a été un dirigeant, selon un décret paru mardi 15 novembre 2022 au Journal officiel, une semaine après l'enquête de Disclose.

Le Malotru, à son tour, lance l’alerte : Des enfants de 3 à 8 ans qui gèrent eux- même leurs fortunes. Ce n’est pas la Haute Autorité pour la transparence qu’il fallait saisir, c’est la DDASS !

Les affaires troublantes du groupe pétrolier Perenco en Afrique, entre cadences infernales et soupcons de corruption. Publié par Le Monde, le 21/05/2025.
Perenco, boîte noire pétrolière et toxique en RDC. Publié par Le Monde, le 09/10/2019. La société franco-britannique est accusée de préjudices écologiques. Les associations Sherpa et Les Amis de la Terre, démunies face à l’opacité de l’entreprise, ont fini par recourir à une procédure civile d’exception…
Muanda le petit royaume petrolier de perenco. Publié par Le Monde, le 02/02/2018. L’unique façade maritime de la République Démocratique du Congo (RDC) abrite sa seule zone d’exploitation pétrolière. La société franco-britannique Perenco y pallie les lacunes de l’État, mais s’attire aussi l’animosité des habitants…
Agnes Pannier-Runacher ne pourra pas s'occuper de dossiers liés au groupe petrolier Perenco énonce un decret. Publié par Le Monde, le 15/11/2022.
Pétrole et paradis fiscaux : les intérêts cachés de la ministre de la transition énergétique. Publié par Disclose, le 08/11/2022.

QUELQUES AUTRES DOSSIERS, parmi tant d’autres encore

- L’ex-ministre Douste-Blazy a acheté secrètement ses Porsche dans le paradis fiscal d’Andorre

Un concessionnaire de la Côte d’Azur a été arrêté dans une enquête sur un système d’achat de véhicules haut de gamme. Les transactions réalisées en Andorre permettaient d’échapper au malus écologique et aux taxes (dont la T.V.A). Parmi ses clients : l’ancien ministre et maire de Toulouse Philippe Douste-Blazy…
L’ex-ministre Douste-Blazy a acheté secrètement ses Porsche dans le paradis fiscal d’Andorre. Publié sur Médiapart, le 15/04/2025.

- Condamnation de Malte par la CJUE : Vers la fin des passeports dorés ?

22 pays en 2022 vendent des golden passports. La Gold Card de Trump permet d’obtenir un permis de séjour pour 5 millions de dollars. La France elle-même accorde sa citoyenneté via la procédure citoyenneté émérite pour services rendus (dont a bénéficié le fondateur frauduleux de Telegram).

La Cour de justice de l’Union européenne vient de condamner le dispositif maltais qui permettait à de riches investisseurs de s’offrir la citoyenneté européenne. Ce jugement signe-t-il la fin de la citoyenneté à vendre à Malte ? La pratique des “visas dorés” va-t-elle être elle aussi remise en cause ?
Condamnation de Malte par la CJUE : la fin des passeports dorés. France-Culture, émission du 01/05/2025. (12 min)

- Marlene Engelhorn, 33 ans, a redistribué son héritage de 27 millions d’euros

« Je n’ai pas travaillé ni fait quoi que ce soit pour mériter cet argent ». La descendante du fondateur des entreprises chimiques et pharmaceutiques allemandes BASF a hérité de près de 27 millions d’euros. Militant pour la taxation des plus riches, elle a reversé 92 % de cette somme à plus de 70 organisations, choisies par un collectif de 50 citoyens tirés au sort, dans le cadre d’un projet de démocratie participative. Attac Autriche figure parmi les bénéficiaires de cette redistribution !
« Je n’ai pas travaillé ni fait quoi que ce soit pour mériter cet argent » : Marlene Engelhorn, 33 ans, a redistribué son héritage de 27 millions d’euros. Publié par Le Monde, le 08/05/2025.

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