Eléments d'actualité fiscale - Octobre, Novembre 2025
- Le 09/12/2025
- Dans Economie / Finance
Cette fois encore, nous vous proposons un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir certaines informations que vous avez peut-être ratées.
Dans cet épisode : Quand les bitcoins sévissent à Saint Coulomb via une société basée à Dubaï… ; derrière Europlasma, le repreneur de la Fonderie de Bretagne à Caudan (Morbihan), un fonds installé à Dubaï et aux Bahamas ; Lactalis, quand le lait tourne à l’aigre pour les salarié(e)s ; Dubaï, un premier pas à confirmer vers la coopération judiciaire en matière de narco-trafic, etc.
Cette série prendra fin avec la livraison de décembre 2025. Nous réfléchissons à d’autres formats de partage d’information concernant des sujets explorés dans cette rubrique ou à d’autres sujets susceptibles d’intéresser le lectorat du Malotru…
Pour vous informer régulièrement, n’oubliez pas non plus le site de l’Observatoire de la Justice Fiscale d’Attac France.
Chacun des faits mentionnés ci-dessous a été choisi – parmi bien d’autres – comme illustration significative de pratiques que nous combattons. Ces éléments nous paraissent utiles pour nourrir les débats et mener nos combats pour la justice fiscale.
FRANCE, BRETAGNE, PAYS DE SAINT-MALO : Quand les bitcoins sévissent à Saint Coulomb via une société basée à Dubaï…
Il y a un an, à Saint-Coulomb, un couple a été victime d’une véritable expédition punitive très violente, avec fusil à pompe à canon scié, menaces de mort et de viol, en présence d’un enfant de deux ans. Cette véritable opération commando visait à recouvrer une créance en bitcoins, semble t-il, d’un montant de 400 000 euros, notamment sous la forme d’une clé contenant des cryptomonnaies, sur instructions téléphoniques d’un commanditaire .
C’est ce qu’il ressort des propos rapportés lors d’une séance de la Chambre d’instruction de Rennes face à laquelle le présumé commanditaire de l’expédition, incarcéré depuis juillet 2024, demandait une demande de liberté. Les magistrats n’ont pas été convaincus. Le suspect reste à ce stade présumé innocent.
Mais ce qu’a révélé cet épisode judiciaire confirme combien les arnaques au bitcoin peuvent non seulement flouer des gogos mais aussi entraîner des violences physiques au sein même de nos territoires éloignés des grandes métropoles financières où se concentre le data-mining supposé garantir cette monnaie immatérielle aux promesses largement illusoires… On découvrait lors des échanges qu’à l’origine de cette violence se trouvait une possible filouterie autour de placements au sein d’une société basée en Grande-Bretagne et à Dubaï, dénommée Winworld (littéralement, le Monde de la gagne !).
La société - qui promettait un rendement de… 11 % - a disparu depuis, et l’homme au centre de l’affaire, le présumé commanditaire de l’expédition punitive, semble suggérer que la victime, actionnaire au sein de Winworld, était, en fait, à la tête d’une « société de bitcoins qui a laissé énormément d’investisseurs sur tapis ». Il évoque la société de placements financiers Worldwind en usant d’un terme qui parle désormais à tout le monde : « ça ressemble à une pyramide de Ponzi ».
Malgré toutes ces ces affaires l’attrait libertarien des bitcoins continue de faire rêver…
► Société de placement financier : l’homme suspecté d’être le commanditaire d’une « expédition punitive » devant les juges. Publié par Ouest-France, le 22/11/2025. (Pour abonnés)
► Un homme séquestré et torturé en Bretagne : un fonds d’investissement au cœur de l’affaire. Publié par Ouest-France, le 11/07/2025. (Pour abonnés)
FRANCE, BRETAGNE : derrière Europlasma, le repreneur de la Fonderie de Bretagne à Caudan (Morbihan), un fonds installé à Dubaï et aux Bahamas
« On devait faire 250 000 obus en 2025, on en a fait zéro ». Un vrai cas d’école qui pourrait se transformer en scandale d’état.
« La Défense c’est du nombre, c’est du volume et c’est très rentable », c’est ainsi que Jérôme Garnache-Creuillot, le PDG d’Europlasma présentait son projet de reprise aux médias et aux élus il y a quelques mois. Tous saluaient alors la « renaissance » de l’activité du site historique de la Fonderie de Bretagne, héritière des forges d'Hennebont et longtemps dépendante de Renault. La réponse à certains besoins en armement permettait de relancer l’entreprise en assurant les emplois, selon le PDG, compensant alors un chiffre d’affaires divisé par quatre après le retrait du donneur d’ordre historique, le groupe Renault.
L’État indiquait alors injecter 5.5 millions d’euros à travers le fonds de développement économique et social, les collectivités territoriales 1.5 millions d’euros, et Europlasma 15 millions d’euros dans les trois prochaines années, grâce à un soutien de 20 millions du fonds ABO (Alpha Blue Ocean), un fonds spécialisé en financement d’entreprises en difficulté.
Europlasma traînait déjà une réputation quelque peu sulfureuse. Le procureur de la République s'était dit au printemps défavorable à la reprise de Fonderie de Bretagne.
Mais peut-être l’État se rassurait-il - à bon compte – après qu’au printemps 2025 le Tribunal de Commerce de Rennes eut donné son feu vert au rachat de l'entreprise de Caudan par le groupe Europlasma ; et, aussi, après avoir pris note de la présence, parmi les administrateurs d’Europlasma, de Laurent Collet-Billon, 75 ans, ancien patron de la DGA (Délégation Générale à l’Armement) jusqu’en 2017.
Lors de la reprise de la Fonderie, le ministre Marc Ferracci, l’avait qualifiée d’« excellente nouvelle », faisant suite aux propos tenus le 11 octobre 2021, par la ministre des Armées de l’époque, Florence Parly. Elle rappelait alors que « ne dépendre d’aucun autre pays pour concevoir, produire et entretenir ses équipements, c’est vital pour nos forces armées ».
Elle remerciait à cette occasion « Monsieur Garnache-Creuillot, d’avoir eu le courage de reprendre le dernier fabricant français de corps d’obus. ». On était juste avant le début de la guerre en Ukraine et le PDG venait de reprendre une entreprise également en difficulté, Les Forges de Tarbes (25 salariés) avant de reprendre, entre autres acquisitions, Valdunes (300 salariés), près de Valenciennes, dernier fabricant d’essieux pour wagons de chemin de fer, le tout avec des aides publiques conséquentes.
Depuis ce départ en fanfare, à la lumière des dernières informations glanées ici ou là, on trouve cependant de sérieuses raisons de s’inquiéter si, comme Emmanuel Macron et son ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, venu à Caudan en mai 2025, on compte sur les obus promis par l’entreprise pour assurer rapidement la sécurité du pays. « On devait faire 250 000 obus en 2025, on en a fait zéro », dénonce Maël Le Goff, délégué CGT. Alors que la production devait commencer à l’automne, on parle désormais de débuter cette production « courant 2026 »…
L’entreprise paraît potentiellement performante avec une capacité pouvant atteindre les 1000 obus à l’heure, 266 emplois conservés ont été salariés sur les 286, mais depuis peu, des doutes sérieux apparaissent et des observateurs des marchés financiers s’interrogent pour savoir si l'entreprise a les moyens de ses ambitions. On découvre notamment un recours régulier, et à un rythme accéléré, au fur et à mesure des acquisitions, à un financement via des "OCABSA", obligations convertibles en actions. L'Autorité des marchés financiers (AMF) associe ce type de financement à des fonds qui, n'ont le plus souvent « plus accès à d'autres possibilités de financement », en raison d'une « situation financière dégradée ou de perspectives insuffisantes »… Et c’est précisément à partir de ce type de financement, et également en soulignant « l'absence de visibilité sur les contrats à date » que le procureur de la République s'était dit au printemps défavorable à la reprise de Fonderie de Bretagne.
En cherchant un peu, on découvre aussi que le fonds ABO, créé par un financier belge de 34 ans, Pierre Vannineuse, est basé aux Bahamas, mais recourt à des intermédiaires aux Seychelles, à Dubaï, ou au Luxembourg. ABO recourt surtout, semble t-il, à des pratiques douteuses dont La Fonderie pourrait bien faire les frais. Selon une des nombreuses victimes qui accusent ABO d’avoir « dévoyé l’usage des obligations convertibles en actions », le fondateur d’une maison de vente par correspondance de produits pharmaceutiques Pharmasimple, il semble bien qu’ABO ne dispose pas des capitaux qu’il prétend apporter. Il convertit tout de suite les apports des contributeurs, séduit par des promesses de marchés juteux pour capter l’argent des petits porteurs, qui jouent le rôle de la banque. Pratique évidemment illégale, un fonds prêtant normalement des capitaux, dont il dispose réellement, pour développer une entreprise. Une condamnation a déjà été prononcée par l’équivalent de l’AMF en Norvège à l’encontre d’ABO dans sa gestion d’émissions d’actions pour trois entreprises, Element ASA, Induct AS, et Lavo.tv AS…
Le député LFI Aurélien Saintoul, qui siège à la commission de la Défense de l’Assemblée, a demandé « la création d’une commission d’enquête. Mais, assure t-il, on ne peut pas dire que la majorité présidentielle soit très partante ».
Me Johann Lissowski, saisi de dizaines de plaintes (ABO est impliqué dans le financement d’au moins une trentaine de sociétés cotées sur Euronext), indique que « ces plaintes ont été déposées pour diffusion d’informations trompeuses, car le système ne fonctionne que si des communiqués très positifs sont diffusés régulièrement pour attirer des petits porteurs, qui se font plumer ».
Des communiqués très positifs ? On se rappelle que ministres et médias n’ont pas manqué d’en produire il y a quelques mois lors du lancement en grande pompe du projet de relance. Des petits porteurs, en veulent non seulement à Europlasma, mais aussi « aux pouvoirs publics » qui ont « créé un climat de confiance ». « Les déboires des entreprises financées par ABO auraient pourtant dû les alerter » estime l’un d’eux. L’industriel avait promis 15 millions en trois ans, dont 7,5 millions d'euros en 2025. « Il en a mis 2,5 pour l'instant, il en a 5 à mettre d'ici la fin de l'année », a observé Maël Le Goff, secrétaire général CGT de Fonderie de Bretagne, qui attend maintenant « du concret ». Les salariés de l'entreprise bretonne ont déclenché un droit d'alerte économique.
À suivre…
► Fonderie de Bretagne à Caudan. Des "incertitudes" autour du repreneur en série Europlasma. Publié par Franceinfo, le 19/11/2025.
► À la Fonderie de Bretagne, promesses non tenues et opacité créent l’inquiétude et renforcent les doutes sur le nébuleux groupe Europlasma. Publié par Le Monde, le 13/11/2025.
► Europlasma ou les méthodes de la finance casino. Publié par Radiofrance , le 14/05/2025. (2 min)
► Fonderie de Bretagne. "La Défense c’est du nombre, c’est du volume et c’est très rentable" : Les nouveaux défis après le redémarrage. Publié par Franceinfo, le 14/05/2025.
► Les Fonderies de Bretagne vont fabriquer des obus : l'offre de rachat par Europlasma confirmée. Publié par Franceinfo, le 25/04/2025.
► Le fabricant de roue de train Valdunes obtient un nouveau délai pour trouver un repreneur. Publié par Ouest-France, le 17/01/2024.
► Decision regarding violation penalty. Publié par The financial supervisory authority of Norway, le 23/05/2019. (En anglais).
FRANCE : FRAUDE FISCALE, LACTALIS.
Quand le lait tourne à l’aigre pour les salarié(e)s dont les primes de participation ont été amputées du fait de pratiques fiscales douteuses.
« Une escroquerie », voilà ce qu’en disent des salarié(e)s de Lactalis qui se targue d’avoir atteint 30 milliards d’euros de ventes en 2024. Pendant des années, l’empire international du lait (marques Président, Leerdammer, Lactel, Bridel, Parmalt, Kraft etc ) dont le siège est à Laval aurait réduit de manière injuste les primes de participation de ses quelque 16.000 salariés de droit français.
L’affaire n’est pas nouvelle. Le Malotru a déjà détaillé, il y a un an, comment, en catimini, Lactalis avait règlé l’ardoise pour avoir créé des structures de minoration de son bénéfice imposable en France pour « clore un différend portant sur des opérations internationales de financement », selon les termes du communiqué-maison publié à l’époque. Lactalis avait développé un système de « véhicules », une complexe nébuleuse de holdings, emboîtées comme des poupées gigognes, via la Belgique et le Luxembourg visant à minorer son bénéfice imposable en France. Le versement (475 millions d’euros ) intervenait dans le cadre d’une procédure de transaction, pour mettre fin aux enquêtes de l’administration fiscale. Cela permettait même à Lactalis de préciser n’avoir eu « aucune intention délictueuse ». On connaît la pudeur de gazelle de Jean-Marc Bernier, directeur général de Lactalis France, celui-là même qui, audité par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale mardi 17 décembre 2024 déclarait: « On ne se voit pas comme une multinationale »…
L’affaire, ou plutôt les affaires, ne s’arrêtent pas là. Au-delà du litige fiscal soldé en fin d’année dernière, le groupe Lactalis est aussi visé depuis 2018 par une enquête du PNF (Parquet National Financier) pour blanchiment de fraude fiscale aggravée « portant sur des suspicions de minoration de son bénéfice imposable », ensuite étendue aux chefs de fraude fiscale aggravée. Pour rappel, c’est le syndicat agricole Confédération paysanne qui avait déclenché la machine judiciaire en émettant un signalement auprès du PNF dès 2019 .
Les salarié(e)s et ex-salarié(e)s regroupés au sein de l’association, « Justice pour nos primes » ont déposé plainte auprès du PNF . Un soutien technique leur a été apporté notamment par Maxime Renahy, lanceur d’alertes dont les révélations avaient mis en évidence un système d’évasion fiscale de Lactalis via la Belgique et le Luxembourg. Son objectif : « Aider les salariés à récupérer les primes de participation injustement réduites par l’évasion fiscale. » Il semble bien, en effet, que les primes de participation aux résultats des salarié(e)s ont été sérieusement affectées par la minoration des bénéfices obtenue par les pratiques douteuses décrites ci-dessus.
« Justice pour nos primes » évalue à 570 millions d’euros le manque à gagner pour les salariés du groupe. « 35 000 € bruts » par personne, en moyenne, soit le prix de la spoliation organisée… La Direction de Lactalis, droite dans ses bottes, réfute tout : « Le règlement fiscal signé auprès de l’administration n’emporte pas de conséquence sur l’intéressement des salariés en France ». L’avocat de « Justice pour nos primes » corrige: « On parle de participations, pas d’intéressement ». La justice devra trancher…
Toutes ces affaires n’ont nullement empêché le groupe mayennais de se voir subventionné à hauteur de 2 millions d’euros en « soutien » au remplacement d’un ancien four de séchage alimenté au gaz par un modèle biomasse dans son usine de Craon. L’entreprise faisait partie des lauréats du plan d’investissement France 2030 pour cette initiative. Deux petits millions, ce pourboire venu des caisses de l’État a du faire sourire Emmanuel Besnier, président directeur général du groupe qui affichait en 2023 un chiffre d’affaires de près de 30 milliards d’euros. Lors de son audition, mardi 17 juin, par la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux grandes entreprises, le même grand patron avait qualifié de somme « relativement faible » les 18,7 millions d’euros d’aides qu’il avait reçues en 2023...
Enfin, si la notion d’effet d’aubaine vous dit quelque chose, on retiendra la phrase prononcée par le secrétaire général pour l’Investissement, Bruno Bonnell, venu rencontrer les équipes du site de Craon : « Ces groupes-là finiront par faire ces investissements, mais s’ils les font dans quinze ans, on aura perdu quinze ans de pollution. Le rôle de l’État est de montrer le chemin, accélérer les choses et limiter les risques ». Ce jour-là, nul n’évoqua les turpitudes fiscales et sociales de l’ensemble du groupe. Chez ces gens-là on sait se tenir…
Seul un élu avait osé « mettre les pieds dans le plat » quelque temps auparavant, lors de l’audition d’Emmanuel Besnier par la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux grandes entreprises. Cet élu rappela que Lactalis et son patron avaient refusé de publier les comptes de l’entreprise jusqu’en 2018 (préférant payer une amende de… 1 500 euros par an !), ce qui n’avait pas empêché Lactalis d’avoir des aides publiques. Le même élu osa rappeler également le règlement de 475 millions à l’administration fiscale pour mettre un terme au « différend » évoqué précédemment. Il osa même demander : « Pensez-vous qu’une entreprise qui arrive à ce règlement peut continuer à recourir aux aides publiques ? », Emmanuel Besnier, visiblement irrité, répondit sèchement en parlant de« cabale », ajoutant « C’est une imagination de la Confédération paysanne. ». Et de conclure : « Malgré un différend d’interprétation, j’ai préféré régler le passé… »
L’élu qui avait osé posé ces questions indécentes s’appelait Fabien Gay, député communiste, rapporteur de la commission. Un manque de savoir-vivre évident.
► Des salariés portent plainte contre Lactalis pour récupérer des primes minorées. Dépêche de l'Agence France Presse publiée par Mediapart, le 25/11/2025.
► En Mayenne, Lactalis et l’AgriCampus soutenus par le plan d’investissement France 2030. Publié par Ouest-France, le 01/10/205.
► Une action collective lancée pour récupérer les primes de participation chez Lactalis. Publié par Le Télégramme, le 17/09/2025.
► Le président de Lactalis Emmanuel Besnier, auditionné au Sénat, dénonce une « cabale ». Publié par Ouest-France, le 19/06/205. (Pour abonnés)
► En catimini, Lactalis (marques Président, Lactel, Bridel…) règle l’ardoise pour avoir créé des structures de minoration de son bénéfice imposable en France. Dans Éléments d'actualité fiscale - Décembre 2024, Janvier 2025. Publié par le Malotru, le 14/02/2025.
► Lactalis réveillé à l’heure du laitier… Dans Éléments d'actualité fiscale - Février, Mars 2024. Publié par le Malotru, le 14/05/2024.
DUBAÏ. Inflexion sérieuse ou concession cosmétique ? Les Émirats Arabes Unis font un pas vers la coopération judiciaire en matière de narco-trafic
Enquêteurs et magistrats européens se sont longtemps plaint du manque de coopération judiciaire avec ce territoire de 35 km² où, selon une source judiciaire française, « les narcos peuvent s'installer en famille, blanchir leur argent par des systèmes bancaires occultes et l'achat de voitures extrêmement chères ou de biens immobiliers ». Beaucoup soulignaient des opérations réalisées en argent liquide ou en cryptomonnaie – deux importants vecteurs du blanchiment d’argent – dans le secteur immobilier. Autre technique très prisée à Dubaï, la "hawala", un système ancestral de compensation financière basé sur la confiance et plus difficile à tracer que des virements bancaires.
Une convention d'extradition entre les Émirats et la France a été signée en 2007, avec l'Espagne en 2009, avec la Belgique et les Pays-Bas en 2021. Mais seule une poignée de narcotrafiquants a été extradée. Dubaï, qui a attiré de nombreux hommes d'affaires russes fuyant l'impact des sanctions après l'invasion en Ukraine, n'a jamais saisi « aucun bien pour le compte d'aucune autorité étrangère ».
En juin 2025, suite à un premier article publié en novembre 2024, Le Malotru proposait dans ses Éléments d'actualité fiscale - Avril, Mai 2025 un article sur de récentes révélations concernant l’accueil par Dubaï de fraudeurs fiscaux marseillais. Il y était question du blanchiment d’argent issu du narcotrafic à travers des investissements immobiliers massifs, et, notamment, de l’acquisition de dizaines d’appartements haut-de-gamme dans un quartier huppé de Dubaï. Le permis de résidence à Dubaï, acquis selon le dispositif local de 500 000 euros d’investissement, leur avait permis de se mettre, eux et leurs familles, à l’abri de la justice française.
Pendant des années, Dubaï est ainsi « devenu un centre de coordination à distance » où résident des membres hauts placés des gangs », décrivait l'organisation intergouvernementale de police criminelle Europol. En 2022 l'opération "Desert Light" avait confirmé l'existence d'un "super-cartel" à Dubaï où six "barons de la drogue" liés à la France, aux Pays-Bas, à l'Espagne s'étaient alliés pour contrôler environ un tiers du commerce de la cocaïne en Europe, toujours selon Europol. « L'épicentre mondial du blanchiment d'argent s'est largement déplacé vers Dubaï et Hong Kong », relevait en août 2024 le Centre for the Study of Corruption (basé au Royaume-Uni).
Incidemment, Dubaï n’est pas seulement une base arrière idéale pour gérer trafics et blanchiment sans grand risque d’être extradé. Selon une enquête du Monde d’avril 2025, on comptait environ 3 000 propriétaires français dont certains possèdent au moins quinze appartements et villas, « des chefs d’entreprise, pour la plupart évoluant dans des secteurs variés: taxis, restauration rapide, sécurité privée, etc. des patrons qui génèrent de l’argent en liquide dans le cadre de leur activité ».
Notre article du Malotru publié en juin 2025 se terminait ainsi : « Toujours aussi peu d’entraide judiciaire, toujours aussi peu de comparutions et de condamnations. Les Émirats ont été sortis de la liste grise du GAFI en 2024 et s'en sont félicité à grand renfort de publicité. De mauvais esprits insinueront qu’ils sont le premier pays étranger acheteur du Rafale, et, à ce jour, le seul acheteur du char Leclerc. »
Mais, il y a un an, peu après la nomination d’un magistrat de liaison français en avril 2024 dans la fédération émiratie, le journal indépendant l’Orient-Le Jour posait la question : « Le vent commence-t-il à tourner pour les narcos après des années au chaud sous le soleil et les gratte-ciels de Dubaï ? » Le risque d’extradition par Dubaï est encore bien limité, mais quelques signaux ont été récemment émis.
En juillet 2024, c'est le Néerlandais Faissal Taghi, 24 ans, fils du chef présumé de la « Mocro Maffia », d'origine marocaine installée aux Pays-Bas, qui était arrêté à Dubaï. Il a été extradé pour trafic, blanchiment et préparation de crimes, selon le bureau néerlandais des procureurs. En octobre 2024, Sean McGovern, « un des Irlandais les plus recherchés » selon Interpol, y a été interpellé en vue d'une extradition. En juin 2025, après des péripéties juridiques qui avaient fait échouer l’opération une première fois, Abdelkader Bouguettaia, dit « Bibi », importateur présumé d’énormes quantités de cocaïne via le Havre et résidant à Dubaï depuis 2019 était extradé en France, une première à ce niveau de délinquance.
Le 19 novembre 2025, on apprenait que, suite à la visite du ministre de la justice, Gérald Darmanin, les autorités locales avaient saisi, à la demande de la France, une quarantaine de biens immobiliers appartenant aux « narcos » ayant élu domicile à Dubaï. Soit, selon un communiqué émis sur le réseau social X, « plusieurs dizaines de millions d’euros de patrimoine, en particulier des appartements et des villas de luxe achetés en cash ou en cryptomonnaies ».À la manœuvre, dans l’ombre du Ministre, se trouvait Vanessa Perrée, alors directrice de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. La loi sur le narcotrafic, promulguée en juin, permet la saisie des avoirs criminels avant même la condamnation définitive des prévenus.
Côté extraditions les choses avancent aussi : « Depuis 2020, il y avait eu zéro extradition et, cette année, on en a recensé 14 en dix mois », indique t-on au Ministère de la Justice. Il apparaît bien que les autorités émiraties souhaitent améliorer leur image en donnant quelques gages. « Les Émirats arabes unis sont déterminés à travailler avec tous leurs partenaires internationaux pour perturber et décourager toutes les formes de financement illicite à l'échelle mondiale », a récemment affirmé à l'AFP une source au sein des autorités des Émirats. Reste à confirmer dans les faits la réalité de ces belles paroles…
Certains criminels ou évadés fiscaux envisagent-ils de quitter Dubaï pour des cieux plus cléments ? « Avec toute l'attention portée sur Dubaï comme un havre de paix pour les criminels, les regards se tournent déjà vers la Turquie comme possible nouveau centre d'activités criminelles internationales », affirme une source judiciaire néerlandaise. « Certains gros bonnets pensent à des zones de repli au Maghreb, en Indonésie ou à Bali », selon une source française spécialisée dans la lutte contre le blanchiment.
L’étau se resserre t-il vraiment ? La lutte continue…
► Dubaï, les luxueux appartements des « narcos » dans le viseur de la coopération judiciaire. Publié par Le Monde, le 19/11/2025.
► Révélations sur l’accueil par Dubaï de fraudeurs fiscaux français dans Éléments d'actualité fiscale - Avril, Mai 2025. Publié par le Malotru, le 08/06/2025.
► La loi sur le narcotrafic, largement adoptée, est portée par l’actualité et les ambitions des ministres. Publié par Le Monde, le 29/04/2025.
► Dubaï, jusqu'à quand une oasis pour les narcos européens ? Publié par L'Orient-Le Jour / Agence France Presse, le 18/12/2024.
► Dubaï, jusqu'à quand une oasis pour les narcos européens ? Publié par Imazpress, le 16/12/2024.
► Des tours de Marseille aux gratte-ciel de Dubai sur la piste de l'argent de la drogue des quartiers nord. Publié par Le Monde, le 04/11/2024.
Étant donné l’importance accordée aux dossier précédents, nous réduirons l’espace accordé aux sujets qui suivent :
- L’ONG SOS Chrétiens d’Orient perquisitionnée pour des soupçons de complicité de crimes contre l’humanité en Syrie
L’enquête du Parquet national antiterroriste vise à déterminer si l’ONG, dirigée par un royaliste d’extrême droite, a versé une partie des fonds qu’elle récolte aux Forces de défense nationale, des milices pro-Bachar Al-Assad. Selon Radio-France, des perquisitions en lien avec cette enquête ont été menées en même temps en Ille-et-Vilaine, à Redon, dans la société Ad Litteram. Les enquêteurs veulent savoir si c’est via cette société que l’association SOS Chrétiens a récolté des dons suspects. Un certain Tristan Mordrelle, proche des milieux d’extrême droite, est à la tête d'Ad Litteram. C’est lui qui était visé par cette perquisition. Les gendarmes se sont également rendus dans une autre société à Saint-Jacques-de-la-Lande (Ille-et-Villaine).
► L’ONG SOS Chrétiens d’Orient perquisitionnée pour des soupçons de complicité de crimes contre l’humanité en Syrie. Publié par Le Monde avec AFP, le 27/09/2025.
- Biocarburant : le groupe Avril, présidé par le patron de la FNSEA, grand gagnant de la niche fiscale B100
Un document transmis par le gouvernement aux députés montre que les trois quarts de la réduction d’impôt, dont la FNSEA refuse la suppression, se retrouvent dans les marges du groupe Avril, présidé par Arnaud Rousseau, également patron du syndicat agricole. Le principal producteur du gazole B100 à base de colza est Saipol, filiale du groupe Avril, avec une part de marché de 70 % et de copieuses marges. Le manque à gagner pour les caisses publiques s’élève à 130 millions d’euros, estime le document, dont 85 millions d’euros profiteraient à Saipol…
► Un document transmis par le gouvernement aux députés montre que les trois quarts de la réduction d’impôt, dont la FNSEA refuse la suppression, se retrouvent dans les marges du groupe Avril, présidé par Arnaud Rousseau, également patron du syndicat agricole. Publié par Le Monde, le 24/10/2025.
- Les Dassault donnent à leur holding familiale un statut fiscal avantageux
Le GIMD (Groupe industriel Marcel Dassault) a été transformé en « holding animatrice », ce qui lui permettrait d’échapper à l’impôt sur la fortune immobilière et d’être partiellement exonérée de droits de succession. Considérée comme une société opérationnelle, au même titre qu’une entreprise industrielle, agricole ou libérale, la holding animatrice bénéficie donc, comme ces dernières, du pacte Dutreil. C’est une décision qui devrait contribuer à alimenter le débat actuel sur les taxations des très grands patrimoines…
La famille Dassault n’est pas la seule grande fortune française à vouloir profiter des avantages de la formule holding animatrice. Agache, la société de tête de Bernard Arnault, JCDecaux Holding (famille Decaux), SCDM (Martin et Olivier Bouygues), Merit France (famille Saadé) ou NJJ Holding (Xavier Niel)…
La holding animatrice a donné lieu à de nombreux contentieux avec le fisc. Certains contribuables se sont même fait pincer ces dernières années. En décembre 2013, la Cour de cassation avait estimé que la holding de Francis Mulliez (de la famille fondatrice d’Auchan), propriétaire de Kiloutou, ne pouvait bénéficier du statut d’animatrice pour échapper à l’ISF.
En 2003, comme BFM-TV l’avait raconté en 2017, c’est Vincent Bolloré qui avait été condamné pour avoir tenté de réduire son ISF en qualifiant certaines de ses sociétés de holding animatrice.
► Les Dassault donnent à leur holding familiale un statut fiscal avantageux. Publié par Le Monde, le 29/11/ 2025.
► Le pacte Dutreil, une niche fiscale décidément intouchable. Publié par Le Monde, le 06/06/ 2025.
► Quand le fisc redresse Vincent Bolloré sur son ISF. Publié par BFMTV, le 24/12/17.
- Italie. La mafia avait prévu d’assassiner un journaliste d’investigation
« C'est lié à un climat (général, ndlr) que nous acceptons », où un journaliste peut « devenir une cible », a commenté sur Instagram le journaliste Roberto Saviano, auteur de livres-enquêtes sur la mafia et qui vit lui aussi en Italie sous escorte. « Continuer à dire les faits, aujourd'hui, est un acte de résistance civile. » M. Paolo Borrometi, le journaliste visé par un attentat, travaille pour la RAI depuis 1989. Il a réalisé de nombreuses enquêtes sur la mafia et le trafic illégal de déchets. Selon les écoutes interceptées par la police, le journaliste Paolo Borrometi devait être tué dans une explosion au mois de mai, en Sicile où il devait se rendre pour des interventions publiques.
Après Malte et la Slovaquie où deux assassinats ont été commis contre des journalistes d’investigation ces derniers mois, un troisième vient ainsi d’être déjoué de justesse grâce à la surveillance des policiers. Dans le classement 2025 de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse, l'Italie occupe une peu reluisante 49e place.
► Italie: une bombe explose sous la voiture d'un journaliste renommé, sorti indemne. Publié par France24, le 17/10/2025.
► La mafia avait prévu d’assassiner le journaliste d’investigation Paolo Borrometi. Publié par Reporters sans Frontières, le 30/04/2018.
- France. Drill, baby drill. Nouvelle lubie libertarienne dans l’extrême droite française : les Cryptomonnaies
Le complice du Rassemblement national, Éric Ciotti a déposé une proposition de loi, « visant à adapter la France au nouvel ordre monétaire en embrassant le bitcoin et les cryptomonnaies ». D’Éric Ciotti à Sarah Knafo, « ils proposent tout ce que le secteur réclame depuis des années », selon Grégory Raymond, cofondateur du média spécialisé The Big Whale.
Invitée à l’investiture de Donald Trump à Washington, Sarah Knafo avait rencontré l’Américain Michael Saylor, plus gros détenteur institutionnel de bitcoins au monde. « Certains pensent que je suis une futuriste. Je pense que nous sommes en retard », affirmait Sarah Knafo auprès de Mediapart. Après Donald Trump aux États-Unis, Javier Milei en Argentine, Nayib Bukele, le président du Salvador, Sarah Knafo et Éric Ciotti, mais aussi Marine le Pen et Jordan Bardella, rejoignent ainsi une coalition internationale d’extrême droite convertie au Dieu bitcoin… L’enquête récente d’un consortium international de journalistes sur les risques associés aux plateformes d’échanges de cyptomonnaies, notamment la porte ouverte au blanchiment d’argent, ne les dissuadera pas.
Un virage à 180° de plus pour la girouette Marine Le Pen : En 2016, à un an de la présidentielle, Marine Le Pen annonçait dans un communiqué de presse son intention d’interdire tout simplement l’usage des cryptomonnaies en France, au nom du patriotisme économique. Elle parlait alors d’« une prise en otage des citoyens par les banques privées et par un contrôle de toutes les transactions ». La conversion semble avoir eu lieu au printemps lors d’une visite à la centrale nucléaire de Flamanville où elle s’est dite « favorable à l’utilisation du surplus d’électricité produite par les réacteurs pour « miner » du bitcoin »…
Bienvenue au royaume des « libertariens minarchistes ».
► Cryptomonnaies : l’extrême droite française laisse libre cours à sa nouvelle manie. Publié par Médiapart, le 19/11/2025. (Pour abonnés)
► Proposition de loi visant à adapter la France au nouvel ordre monétaire en embrassant le bitcoin et les cryptomonnaies, n° 2022. Publié par l'Assemblée nationale, le 28/10/2025.
- Grande-Bretagne. Un schéma d'évasion fiscale insolite : À Londres, des élevages de gastéropodes pour échapper à l'impôt !
En plein Londres, des agents du Westminster City Council ont découvert des dizaines de cartons remplis d'escargots. Usant et abusant de la législation fiscale britannique qui prévoit des exonérations de taxes foncières pour les bâtiments agricoles, certains propriétaires d'immeuble ont ainsi monté des élevages de gastéropodes pour échapper à l'impôt. D’autres cas ont été signalés à Liverpool, Leeds, etc. La mairie de Westminster, à elle seule, estime avoir perdu en trois ans l'équivalent de 400 000 euros dans cette arnaque à l'escargot. On comprend que les municipalités réclament aux autorités une nouvelle législation pour mettre fin à ces fraudes...
► À Londres, on fraude le fisc avec des... escargots ! Publié par Radiofrance, le 26/22/2025. (58 sec)
► 'Bogus' snail farms set up to avoid business rates. Publié par BBC London, le 28/10/2025. (En anglais)
► A slimy scheme to avoid property tax. From snail farms to sham churches—the British will do anything to dodge taxes. Publié par The Economist, le 13/11/2025. (En anglais)
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